Avec son titre, son synopsis et son improbable bande-annonce, le nouveau film de F. Gary Gray (Négociateur, Braquage à l’italienne) s’annonçait comme particulièrement crétin. Par acquit de conscience, on est allé vérifier sur pièces, et – devinez quoi ? – Que justice soit faite est particulièrement crétin. Au point d’en devenir presque drôle… s’il ne ressuscitait au passage un genre nauséabond : le vigilante movie. On espérait meilleur cadeau pour les fêtes de fin d’année.
Sans mobile apparent, un assassin sournois et sadique (ça se lit tout de suite sur son visage) s’introduit avec un complice dans le foyer d’une famille Ricoré. Il viole et tue à peu près tout le monde – le père, seul, survit. Avide de justice, c’est-à-dire de vengeance, ce « citoyen respectueux des lois » (traduction du titre original) est consterné quand un procureur carriériste renonce à réclamer la peine de mort pour le meurtrier de sa famille. Pendant dix ans, le père éploré prépare sa revanche – aussi spectaculaire qu’alambiquée, elle prendra pour cibles tous ceux qui ont pris part, de près ou de loin, au procès.
Tout concourt à faire du film de F. Gary Gray un nanar de compétition : sa réalisation impersonnelle alignant tous les clichés des mauvais films d’action, le jeu des acteurs, d’une réjouissante fadeur (Gerard Butler fronce ses traits bouffis pour se donner l’air intelligent et déterminé, tandis que Jamie Foxx n’essaie même pas d’avoir l’air concerné), et surtout l’insondable bêtise de son scénario. Celui-ci aligne à un rythme délirant des péripéties toutes plus gratuites et débiles les unes que les autres : un robot lance-roquettes planqué dans un cimetière, un tueur qui se déshabille au moment d’être arrêté (sans que bien sûr rien ne le justifie)… on en passe et des plus énormes.
On pourrait prendre un plaisir pervers devant cette surenchère dans le n’importe quoi, si les râteliers auxquels s’abreuve Que justice soit faite n’étaient si peu ragoûtants. Déjà responsable de plusieurs sous-produits hybrides et opportunistes, le scénariste Kurt Wimmer pioche ici, notamment, dans le torture porn (le temps d’une scène bien dégueulasse), et dans une phobie antiterroriste très contemporaine : tel le Joker du Dark Knight, le papa vengeur est un super-vilain nihiliste qui a décidé de plonger toute une ville dans le chaos. Mais l’ingrédient principal de ce brouet scénaristique, Wimmer est allé le déterrer dans le cinéma d’exploitation des années 1970 et 1980.
Popularisé par la série des Death Wish (Un justicier dans la ville), le vigilante movie fut l’expression cinématographique la plus spectaculaire de la contre-révolution conservatrice qui triompha pendant l’ère Reagan. Transposant des thèmes propres au western dans l’Amérique contemporaine, ces films mettaient en scène des individus lambdas (ou des flics frondeurs et indisciplinés, tel l’Inspecteur Harry) qui, au nom d’une certaine conception de l’autodéfense, se voyaient « obligés » de prendre eux-mêmes les armes pour pallier les carences d’un système politico-judiciaire perçu comme trop laxiste, voire corrompu.
On croyait le genre mort et enterré – il y a deux ans, Clint Eastwood organisait ses funérailles en grandes pompes dans Gran Torino, où il réécrivait (non sans une certaine complaisance) sa propre légende. Le vigilante movie ne faisait plus l’objet que de relectures post-modernes slalomant avec plus ou moins d’habileté et de cynisme entre l’hommage et la parodie (Boulevard de la mort, Machete). Le film de F. Gary Gray, qui légitime la soif de vengeance d’un père qui a juste le tort d’aller un chouïa trop loin dans ses méthodes, est quant à lui désespérément dépourvu de second degré. Il est à craindre qu’il n’annonce une nouvelle vague de films moralement et politiquement putrides : dès janvier sortira ainsi Harry Brown – qui exporte le modèle du vigilante movie dans l’Angleterre prolétaire. Mais le terrain n’a‑t-il pas été préparé pendant cinq saisons par la série Dexter, qui justifie la loi du talion d’une manière autrement plus séduisante (mais d’autant plus pernicieuse) que ce navrant Que justice soit faite ?