Petite déception, mais seulement petite, que ce BGG, adapté d’un célèbre roman de Roald Dahl. Peut-être attendions-nous trop du retour de Spielberg à sa veine de blockbuster enfantin, le premier depuis Les Aventures de Tintin, et peut-être tout simplement trop de Spielberg, qui affiche depuis maintenant une dizaine d’années une régularité impressionnante et un niveau stratosphérique. D’autant que l’entrée en matière – le ravissement d’une enfant par une main gigantesque qui semble jaillir d’un projecteur –, dont la quintessence était déjà contenue dans une première bande-annonce ressemblant à un petit précis de son œuvre, augurait le meilleur. Et de fait le cœur du film est très beau : kidnappée par une ombre dont elle a croisé le regard, la jeune Sophie traverse une succession de strates – le monde des humains, le monde des géants, le monde des rêves – au cours d’une aventure mirifique dont elle ressortira transformée. Chaque traversée prend ainsi la forme d’une plongée dans un imaginaire où cohabitent le merveilleux et la terreur – le géant du titre étant un attrapeur et un façonneur de rêves, mais aussi de cauchemars. Il faut voir la découverte magnifique de son atelier, où l’être immense apparaît comme le machiniste d’une usine dont l’enchevêtrement des rouages fait jaillir faisceaux lumineux et images projetées, pour comprendre ce qui a bien pu intéresser Spielberg dans cette figure fantastique. Ce qu’entérine la séquence où le BGG souffle à l’oreille d’un enfant un rêve heureux : c’est alors un ballet d’ombres s’imprimant sur un mur blanc auquel assistent Sophie et son nouveau compagnon.
L’irruption de ce corps humain dans un monde onirique devient alors le récit d’une jeune spectatrice catapultée à l’intérieur d’un film. Si cette dimension réflexive, attendue, tient ses promesses, l’intérêt du film réside pourtant avant tout dans les jeux d’échelles que met en scène Spielberg, reposant là aussi sur un enchâssement de strates. Car le géant est moins une figure d’altérité que l’alter ego de la petite fille, lui qui est le plus petit de son groupe de colosses. Le film dépeint alors autant des enfants évoluant dans un monde d’adultes immatures – les autres géants, la gérante négligente de l’orphelinat, mais aussi des hommes ivres et bruyants qui troublent la quiétude d’une ruelle déserte –, qu’un univers dont la pluralité des échelles finit par miniaturiser l’ensemble des protagonistes, y compris les plus grands. Si le film trouve dans ce principe matière à de belles trouvailles formelles et plastiques – cf. la première course du BGG, qui doit se fondre dans les décors qu’il traverse pour demeurer invisible –, il se raidit par contre davantage dans la longue et assez rébarbative visite chez la Reine d’Angleterre et déçoit un peu dans l’exploitation minimale du monde des géants. Surtout, ce qui limite le film est le ripolinage de son fond noir – la capture d’enfants, la mort d’un petit garçon qui fut le meilleur ami du BGG –, un peu écrasé par le poids de conventions liées au conte et par un imaginaire britannique qui ne sied qu’à moitié à l’univers spielbergien. Si cette cruauté subsiste un peu, elle se retrouve néanmoins réduite à une expression minimale, à l’image de ce plan fugace où la troupe de géants cannibales disparaît à l’horizon pour dévorer les gamins anglais : comme souvent chez Spielberg, la mort se trouve alors derrière la colline – colline d’où Schindler assiste à la liquidation du ghetto de Varsovie, colline d’où le personnage de Tom Cruise assiste dans La Guerre des mondes à la prolifération d’une flore sanguine, colline derrière laquelle une petite fille de Cheval de guerre découvre un champ de bataille. Ne faisons toutefois pas non plus la fine bouche : un film de Spielberg, même mineur, se révèle être un coffre à jouets renfermant quelques merveilles.