La rapidité avec laquelle Oliver Stone s’est réservé les droits d’adaptation du roman de Don Winslow, sur ses propres deniers, est un indice de l’intérêt qu’il portait au projet. Savages, dans son escalade de violence, de drogues et de manigances, convenait à merveille au réalisateur de Tueurs nés et L’Enfer du dimanche : débordé par le réseau des protagonistes, il ne parvient cependant qu’à enfumer une ligne dramatique pourtant prometteuse.
En Californie, l’utilisation thérapeutique de la marijuana est tolérée, et le trio que forment Ophelia, Chon et Ben ne se gène pas pour profiter lui-même des vertus de la plante. Forcément plus détendue, la petite bande s’appuie sur les qualités respectives des deux hommes pour monter un commerce lucratif : l’un est démobilisé d’Afghanistan, l’autre génie génétique. Quant à celle qu’ils surnomment « O. » pour le son de ses orgasmes, elle suit le duo avec une candeur affolante, qui renforce l’aspect inoffensif de la bande (le scientifique est un grand philanthrope, et le plus dur de la bande n’est même pas taillé dans le roc). Lorsqu’un gang venu du Mexique tente la distorsion de la concurrence par le vide, les photographies lumineuses d’une Californie rêvée font place à des images de décapitation en streaming.
Et oui, l’histoire de Savages ne tient qu’à cela : le drame de l’illicite, et sa mécanique implacable. Cette marche forcée vers le chaos, qui laisse les trois amateurs relativement démunis, semble le plus intéresser Oliver Stone. Ophelia, Chon et Ben bénéficient ainsi des faveurs du réalisateur et du scénariste, qui leur accordent à chacun une scène ou quelques répliques inattendues. Malgré tout, le plan à trois d’Oliver Stone trouve rapidement ses limites, d’abord parce qu’il fait reposer les prémisses de l’action sur la voix off de la jeune femme, qui revient régulièrement commenter les évènements a posteriori. L’idée s’avère rapidement plutôt mauvaise, le timbre de la voix, trop calme, cassant un rythme déjà laborieux à enclencher.
Les autres protagonistes, et ils sont légions, pâtissent d’un refus du réalisateur de sacrifier quelques personnages secondaires du casting : les stars oscillent entre cabotinage (Salma Hayek, Benicio Del Toro, celui qui s’en sort le mieux) et seconds rôles délaissés en cours de route (le jeune voyou en formation, qui disparaît presque). L’action plutôt simple de Savages (en gros, un jeu d’otages) apparaît outrageusement pataude à l’écran, tant elle est portée par des champs/contrechamps interminables, doublés de dialogues dont l’intérêt reste à prouver. Pour mieux couvrir et rendre compte d’un réseau qui va du Mexique à la Californie et des pontes du FBI à la petite frappe chicano, il aurait sans doute été plus judicieux d’admettre la nécessaire transparence de certains protagonistes, tout comme certaines scènes auraient clairement mérité d’être expédiées. C’est plutôt quand Stone est contraint à la brièveté que les négociations s’enchaînent plus facilement, et que la roulette russe virtuelle (les négociations se font par Skype) relance le suspense. Les scènes de fusillade, qui constituent le reste du film, seront amplifiées et trop appuyés par un montage qui recherche visiblement un exutoire à cette pesanteur : chaque coup de feu devient prétexte à des filtres et autres raccords tressautants.
Les apparitions de la marijuana dans Savages renseignent sur ce qui manque fondamentalement au long-métrage d’Oliver Stone : d’entrée présentée comme un carburant psychédélique et économique (« Pour Ben, le commerce est vert », explique O.), Stone passe rapidement sur les circonvolutions politiques qu’implique le commerce de la plante. Limitées à un John Travolta en agent corrompu qui reste hélas quantité négligeable, il manque à Savages ce masque subversif au moins aussi grimaçant que ceux que revêtent les personnages, et le long-métrage est alors ramené à une simple série B, à peine récréative, auquel il manquerait un gène particulier.