Souvent taxée de fifille à papa, Sofia Coppola a pourtant réussi en trois films à imposer sa légitimité. Du coup d’essai Virgin Suicides au beau et décrié Marie-Antoinette en passant par le triomphe critique et public de Lost in Translation, la réalisatrice a su créer un univers à la fois fragile et ambitieux, où les filles sont tellement blondes et pâles qu’elles semblent insaisissables et où la jeunesse passe si vite qu’elle est inéluctablement rattrapée par la mort. Trop chic et toc pour ses détracteurs, le cinéma de Sofia Coppola parvient pourtant à éviter la caricature en maintenant un bel équilibre entre une certaine affectation dans le cadre, la photo et le montage et un point de vue désenchanté, souvent cruel sur une jeunesse qu’elle est bien loin d’idéaliser.
Somewhere, le quatrième film de la réalisatrice, décale légèrement ce point de vue, et c’est peut-être là que réside tout le problème de cet effarant ratage. Il y a bien une jeune fille aux cheveux de blé et à la peau d’albâtre (Elle Fanning, petite sœur de Dakota), en proie aux tourments existentiels de son âge, mais elle n’est pas le cœur du récit. Et pour cause : le véritable adolescent du film, c’est son père, Johnny Marco (Stephen Dorff), une star de cinéma qui passe le plus clair de son temps enfermé dans sa suite du Château Marmont, légendaire hôtel des vedettes d’Hollywood. Partagé entre conquêtes faciles, soirées alcoolisées et balades dans sa Ferrari, Johnny s’ennuie. Quand son ex-femme lui envoie sa fille Cleo le temps de quelques jours, Johnny ne se doute bien évidemment pas qu’il va retrouver, à son contact, le goût de la vie. Car bien entendu, Cleo est étonnamment mûre pour ses 11 ans : elle ne pose pas de questions indiscrètes mais comprend tout des problèmes et des vices de son père, qu’elle aime pourtant avec une extraordinaire bienveillance. Et celui-ci le lui rend bien : Johnny n’est pas un papa parfait, mais en retissant des liens légèrement distendus, père et fille se découvrent rapidement une complicité parfaite.
Et puis ? Et puis rien. Le scénario, écrit par Sofia Coppola elle-même, enfile les lieux communs comme les perles et ne fait même pas l’effort d’offrir à ses personnages un tant soit peu d’épaisseur. Tout est désespérément lisse, comme si la réalisatrice craignait de froisser ses personnages qui, malgré leurs défauts, restent beaux et sympathiques : Johnny Marco, supposé mauvais papa, est quand même drôlement cool avec sa fille, qui elle-même ne reproche pas grand-chose à son père, même lorsqu’il s’envoie (pas très discrètement) la pouffe de la chambre d’en face. À ce rythme, les enjeux scénaristiques du film se révèlent donc très limités. Pire : la lourdeur du propos est appuyée par une mise en scène qui, quand elle ne se contente pas de s’attarder pesamment sur les décors luxueux et la mine contrite de son personnage principal, filme à deux reprises le pathétique show de deux jumelles strip-teaseuses (sous-entendu : Hollywood, ça peut être glauque) et embarque ses personnages pour une virée dans l’Italie berlusconienne où l’on croise des morues siliconées dans des shows télés consternants (sans blague ?). Sofia Coppola tourne en rond, comme son héros qu’elle montre, au début du film (attention, métaphore !) faire des tours de piste dans sa voiture de sport. À la fin du film, la Ferrari est garée sur le bas-côté de la route et Johnny Marco la laisse là, préférant fouler l’asphalte de ses bottes en cuir et marcher droit devant, la tête haute. Entre ces deux scènes d’une lourdeur symbolique qui laisse pantois, Sofia Coppola se prend les pieds dans une chronique où tout sonne faux. La réalisatrice sensible et culottée de Marie-Antoinette a t‑elle encore des choses à nous dire ? On attendra encore un peu avant de l’enfermer au panthéon des espoirs déçus.