« On the rocks » : il est difficile de rendre en français le chaud et le froid que souffle ce titre, évoquant à la fois une situation de crise (littéralement, on traduirait par « au bord du gouffre ») et une certaine manière de savourer son whisky. On peut y voir une note d’intention ; il s’agirait pour Coppola d’insuffler de la fraîcheur et une forme de raffinement, puisés dans le répertoire hollywoodien le plus sophistiqué, à l’intérieur d’une comédie existentielle new-yorkaise pour le moins morne et tiède. La Grande Pomme prend le relais des écrins de solitude chers à la cinéaste, après la banlieue pavillonnaire de Detroit, les hôtels, palaces et autres villas de Tokyo, Versailles et Los Angeles. Laura (Rashida Jones), une jeune mère de famille, se consacre à l’écriture, mais sa plume s’avère aussi stérile que son environnement aseptisé depuis qu’elle mesure la distance qui la sépare d’un mari fuyant. Elle le soupçonne de lui être infidèle, encouragée dans ses doutes par un père écrasant (Bill Murray), playboy sur le retour qui en connaît un rayon sur le sujet. Murray, ça pourrait être le pink champagne du film, l’ingrédient d’un réenchantement, mélange équilibré d’élégance et de désinvolture, figé pour l’éternité dans la pub Suntory de Lost in Translation, deuxième réalisation de Coppola avec laquelle On the Rocks entretient un évident dialogue. Moins Droopy qu’à l’accoutumée, il n’apporte finalement avec lui qu’un semblant de rythme, le glamour frelaté d’un personnage de boute-en-train old school et gaiement misogyne, aspirant à rendre à la vie et à la ville leur fantaisie. Ensemble, père et fille mènent l’enquête à la poursuite de l’époux faussement volage, rejouant, de filatures en retours au foyer, une sorte de screwball comedy filiale.
Si la comédie de remariage est par principe un jeu à trois, drôle d’équation que celle où le conjoint est remplacé par la figure paternelle. Pour retrouver son mari, Laura doit apprendre à se détacher de son père et du modèle familial archaïque qu’il incarne : l’homme mu par des pulsions incontrôlables, perpétuellement en chasse ; la femme désirée comme proie, et délaissée comme mère. L’horizon du film est cependant plus ambivalent : le transfert de l’autorité du patriarche à celle de l’époux se fait symboliquement par un échange de montres Cartier, dont tous deux lui font cadeau. Coppola a toujours confondu le glamour avec le bling-bling, mais le finale est ici autrement angoissant : c’est la même montre, et pourtant Laura se convainc qu’elle a au fond un bon mari, un père stable quant à lui, alors elle retrouve le goût d’écrire (et, en passant, apprend à siffler). Programme assez embarrassant, mais moins consternant que sa mise en scène, réduite pour l’essentiel à une enfilade de clichés (filmer une jeune femme qui doute, c’est filmer une page blanche). Si Coppola est à son aise pour décrire la tendresse que peuvent entretenir deux solitudes, la langueur naturelle de son cinéma se prête mal à l’excentricité. À l’arrivée ne restent que les glaçons.