On ne va pas se mentir, l’annonce d’une nouvelle adaptation du roman de Thomas P. Cullinan par Sofia Coppola laissait un peu craindre le pire. À savoir : un remake sauce Pauline Kael par la réalisatrice de Virgin Suicides, quarante-cinq ans après le western licencieux du tandem Siegel-Eastwood, fleuron à retardement (le film avait fait un four) de la subversion réac des années contre-culture. Verdict : le film est joli et plutôt plaisant, épuré, subtil, et par conséquent complètement à côté de la plaque, compte tenu des propriétés moralement décapantes du matériau d’origine. Soit l’idée géniale d’un western séquestré dans un gynécée victorien : Yankee laissé pour mort en plein territoire sudiste, le lieutenant McBurney (Colin Farrell) trouve refuge dans un pensionnat d’orphelines. Soigné en urgence par une protestante entre deux âges (Nicole Kidman, bien mieux exploitée ici que chez l’affreux Lanthimos), sa présence soulève d’abord quelques inquiétudes (doit-on ou non le livrer aux Sudistes ?), avant de titiller les pulsions naissantes (les jeunes filles) ou enfouies (la matrone) de ses hôtesses en froufrous.
Non loin du crédo Tarantino « dernière manière » (venger les opprimés de l’histoire sur le terrain de la fiction : Inglourious Basterds, Django Unchained et Les Huit Salopards), le geste de Sofia Coppola ne cache pas ses intentions réparatrices : inverser le rapport de force, en épousant davantage le point de vue des femmes. Sur le principe, il n’y a évidemment rien de reprochable à vouloir expurger sa substance machiste du film de Siegel, à condition bien sûr de combler le vide abyssal de sa trouble démence par une folie d’un autre genre, et de ne pas se contenter de le rhabiller à la mode Jane Austen : deux précautions que ce remake exfolié de la moindre faute de goût omet hélas d’envisager, à l’instant d’épurer le scénario de toutes ces scènes poussées aux confins du grotesque, qui faisaient l’essence du tableau joyeusement révisionniste de Siegel, dans lequel chacun en prenait copieusement pour son grade (hommes comme femmes, esclavagistes aussi bien que Nordistes arrogants). Eastwood y était le loup dans la bergerie, venu du double horizon des contes pour enfants (il ne fallait pas plus de trois minutes à son personnage pour galocher une rouquine de douze ans – transgression bannie ici, comme toutes les autres) et de cette image lisse d’homme sans nom, qu’il s’amusait à retourner comme un gant. Le film jouissait pleinement de ses outrances : une fois craqué le masque des manières, après cette scène pivot d’amputation (commune aux deux films), le lieutenant dévoilait son vrai visage de croquemitaine misogyne. Or ici, prié par une direction émasculante de ne pas tomber dans l’excès, Colin Farrell ronronne un peu dans un rôle de petite stature, et sacrifie sur l’autel de la parité des performances d’acteurs le monstre qu’il eût sans doute été capable d’interpréter.
Résultat : le film donne l’impression de retenir ses coups, en ne convertissant finalement aucune de ses hypothèses. Pire : trop hygiénique, le style Sofia Coppola paraît tresser un cordon sanitaire autour du sujet, et se bouche le nez devant ce que ses poupées pourraient avoir d’un peu sale (à l’image des scènes érotiques évitées, ou de cette esclave noire, présente dans le roman et le film de Siegel, qui disparaît totalement de l’intrigue translucide de la cinéaste). Une fois encore, le film n’est pas raté (Elle Fanning y est par exemple vraiment bien), mais dans le contexte d’une compétition cannoise, sa pudibonderie le rend totalement anecdotique.