Un anonyme devient soudain célèbre, sans savoir pourquoi. Le synopsis du nouveau Xavier Giannoli a le mérite d’être clair et direct. À l’image de son film, si dévoué à son efficacité qu’il en oublie la portée politique de son sujet.
Plus ahuri que jamais, Kad Merad sur un plateau télé, la tête penchée sur le côté, la bouche pendante, l’œil interrogateur et bouffi. On lui a fait mettre son pull le plus ringard. Le voilà tel qu’on le connaît, dans tout ce qu’il a de plus caractérisé normal, de banal. Exactement ce que doit être son personnage, Martin Kazinski, et ce qu’il faut pour raconter à la télévision son histoire incroyable. Les caméras se repaissent en champs-contrechamps du contraste entre l’animateur surénergique, déjà cent lieues au-dessus de son sujet, et le phénomène invité qui incarne le strict opposé. Puisque de médiatique, Martin Kazinski n’avait rien, jusqu’à se retrouver un beau matin absolument célèbre sans qu’il ne puisse en comprendre la raison.
C’est à peu de choses près ainsi que s’ouvre Superstar, après une scène de liesse dans le métro où Martin Kazinski se découvre connu de tous et se retrouve, tout paniqué et ahuri, pourchassé par la foule puis invité par quelques requins de télévision pour y raconter son histoire. Il y rencontre Fleur (Cécile de France), journaliste tiraillée entre envie d’audimat et désir de tout lâcher, avec qui l’inévitable aventure peinera à s’imposer. Giannoli aime coller dans un milieu bien déterminé des histoires simples, d’amour, d’orgueil et de solitude. L’approche de ces milieux fait son talent et, lorsqu’elle est réussie, l’originalité relative de ses films. C’était le cas du chantier d’À l’origine, moins déjà pour la chanson de charme de Quand j’étais chanteur. Dans Superstar, la télévision est réduite à l’emprisonnement qu’elle constitue, et les déchirures des personnages paraissent également réductrices. Le présentateur Alban (Cédric Ben Abdallah) et le producteur Jean-Baptiste (Louis-Do de Lencquesaing) se sont perdus dans les rouages, Fleur (Cécile de France) tente encore de s’en extraire. Chacun a un fond de complexité, parfois habilement suggéré, pourtant l’attention de Giannoli restera toujours focalisée sur Kazinski, seul centre de cette histoire tiraillée entre une entomologie pataude et la peinture presque grandiloquente de son milieu.
Que dit le film de la célébrité ? Rien, il n’en approche que les symptômes, c’est-à-dire le rapport aux médias. Que dit le film de l’emballement médiatique ? Qu’il broie, ceux qu’il élève temporairement, et le plus violemment les anonymes, mais qui ne le sait déjà ? Qu’il broie aussi ceux qui s’y frottent par leur métier. Pas seulement les journalistes star et ceux qui tirent les ficelles commerciales, mais tous les postes. Tous sont peu à peu déshumanisés, blasés, polis par le scoop, le choc, le buzz, pour finir incapables de ressentir la moindre émotion, sinon, brièvement, au contact d’un corps à étreindre. Giannoli ajoute à ces descriptions un prolongement intéressant, tout le volet des médias amateurs, relayés par Internet. Une nouvelle photo de Kazinski, une vidéo ? YouTube, milliers de vues, milliers d’occurrences Google… Les gens sont fascinés, les médias sont fascinés par la fascination des gens, la technologie transforme trois fois rien en événement, le serpent se mord la queue. Lorsque, poussé à bout dans une émission, Kazinski lance un long cri devant la caméra, Giannoli fait suivre un montage de vidéos amateur où ses fans hurlent en cœur, aux quatre coins du monde, dans leur chambre ou dans la rue. Internet devient une zone floue d’activité de production et de consommation, le monstre incontrôlable d’où a d’ailleurs surgi Kazinski. Terrain intéressant bien que glissant, et dont il ne fait en définitive pas grand-chose.
Plus gênant, Giannoli regarde ceux qu’il filme avec le même œil que la télévision. D’une part en dynamisant au possible l’image. Il accélère les séquences en les découpant, y insérant des scènes parallèles, et en même temps en fait revivre les moments clés plusieurs fois, en changeant l’angle de vue. Par exemple : Fleur présente son projet de reportage, la scène est chronologiquement fidèle à son exposé, mais l’image la montre quelques secondes devant la rédaction, quelques secondes chez elle à répéter son texte, quelques secondes à son bureau. Le montage est toujours préféré au tournage et à l’établissement d’un discours et d’une mise en scène continus. D’autre part et surtout, comme la télévision, Giannoli ment par omission. Il garde peu dans ce qu’il montre, mais il le montre avec une telle insistance qu’il le transforme en réalité première. C’est ce que fait la télévision au quotidien, ce que font les médias plus ou moins malgré eux, on l’a assez dit et vu, avec succès sur le thème de l’insécurité lors des élections de 2007, sans que la sauce prenne avec l’affaire Merah en mars 2012. En partant du principe que ce qui est dit dans les médias est vrai, ce qui n’y est pas dit finit purement et simplement par disparaître, par ne pas exister. Superstar, lorsqu’il montre le nombre de visionnages des vidéos de Kazinski, lorsqu’il montre les occurrences Google, les amateurs qui le singent, lui écrivent, etc., oublie de montrer que bien plus de gens encore ignorent le phénomène, n’ont même pas un coup d’œil pour l’info Yahoo du jour. En résulte une impression d’artificiel qui s’allie mal à l’esprit de dénonciation dont se pare le film.
Plus grave, quand le présentateur se fait attaquer pour avoir traité Kazinski d’homme banal, qu’on voit dans les médias la rébellion de ce qu’on croirait un peuple entier se réclamant lui aussi de « banal », il n’est gardé qu’un petit symptôme, celui de la gueulante face caméra, de l’action choc sur YouTube. La rage, pas le recul. Et tous ces fans qui poursuivent Kazinski, d’abord l’adulant, ensuite le détestant, n’existent chez Giannoli que comme la représentation d’une population sans éclat, qui passe son temps dans le métro ou les supermarchés, qui semble peu ou pas du tout vivante, parce que vue depuis sa seule fascination pour la célébrité, ou son seul refus. Superstar a un sujet trop politique pour Giannoli, qui voudrait utiliser un milieu comme un décor, en ne le filmant que d’un côté. S’il a le courage de pousser à l’extrême la logique – ou plutôt l’absurde – de son personnage, jusqu’à l’amener beaucoup plus loin qu’on l’aurait cru, difficile de supporter la simili-dénonciation de la machine médiatique et dans le même temps l’usage si décomplexé de sa mise en scène.