Contrairement aux États-Unis, le cinéma français joue peu sur l’interaction vie privée/vie publique qui fait ordinairement les choux gras de la presse à scandale. Il y a bien Vincent Cassel et Monica Bellucci, qui ont à leur actif huit films ensemble (dont certains, comme Irréversible de Gaspar Noé et Agents secrets de Frédéric Schoendoerffer, ont bâti une bonne partie de leur promo sur la présence du couple au générique). Mais les producteurs français sont heureusement encore très loin d’un système où l’exploitation d’une love-story entre les deux stars d’un même film fait partie intégrante du service après-vente, comme ce fut le cas cet été avec Brad Pitt et Angelina Jolie.
Ludivine Sagnier et Nicolas Duvauchelle sont loin d’être les pantins de la presse et il est encore trop tôt pour connaître l’impact que le couple qu’ils forment à la ville aura sur la machine promotionnelle du film, mais il est difficile de regarder Une aventure, le deuxième long métrage de Xavier Giannoli (Les Corps impatients) sans s’interroger sur l’ambiguïté d’un film nous montrant un vrai couple en train de simuler (plutôt chastement) l’acte sexuel à l’écran, ce qui équivaut finalement à l’inverse d’un film X, dans lequel des faux couples ont de vrais rapports. Une réflexion sur le pouvoir de la représentation de l’intime au cinéma que le cinéaste n’a probablement pas souhaitée, mais qui rejoint un peu par hasard l’un des propos du film : l’influence de la caméra sur l’objet filmé.
Totalement imprégnés de leurs rôles, les deux acteurs constituent une, pour ne pas dire la seule, bonne raison d’aller voir Une aventure, un polar noir comme la nuit dans laquelle Julien (Duvauchelle) rencontre pour la première fois Gabrielle (Sagnier). Il est employé dans une vidéothèque et rentre tard le soir chez lui. Elle est en chemise de nuit, les pieds nus sur le bitume, et le regarde sans le voir. Elle est somnambule et leurs premières rencontres se feront ainsi, dans le hall de l’immeuble dans lequel Julien partage un appartement avec sa petite amie. Par hasard, il apprendra à la connaître de jour : Gabrielle, ancienne paumée dont le petit garçon est comme la cicatrice de ses jeunes années perdues, vit à deux pas et passe ses journées dans une oisiveté dépressive, entre shopping et cafés. Elle est la compagne de Louis, mystérieux homme marié qui l’entretient sans connaître le secret de ses nuits.
La trame de Une aventure est romanesque à souhait et Xavier Giannoli s’en empare avec la même force qu’il décrivait la descente aux enfers d’une jeune cancéreuse dans le très beau Les Corps impatients. Image granuleuse, caméra nerveuse et agitée, le metteur en scène joue sur les silences pesants dans lesquels se construit toute l’histoire d’un homme et d’une femme attirés par le vide. Giannoli confirme surtout son talent de directeur d’acteurs : jamais jusqu’ici le physique à la fois viril et doux de Nicolas Duvauchelle n’avait été utilisé à si bon escient, ni sa diction un peu confuse. Ludivine Sagnier, elle, révèle une maturité qui lui faisait un peu défaut jusqu’à présent, tirant parti au maximum de son image de lolita pour en faire une femme-enfant vénéneuse presque malgré elle.
Une des réussites du film, c’est de dépasser le cadre du polar classique pour glisser vers une intéressante méditation sur le pouvoir hypnotique des images : après avoir dérobé chez Gabrielle une vidéo de vacances, Julien la visionne en boucle et devient progressivement obsédé par la jeune femme. Plus tard dans le film, Gabrielle tentera de soigner ses crises d’insomnie dans un hôpital où elle sera filmée pendant son sommeil. Être spectateur ou acteur, manipulé ou manipulateur ? En insérant dans son polar une thématique aussi contemporaine, Xavier Giannoli donne à ses personnages une épaisseur qui leur permet de sortir des stéréotypes habituels.
Dommage, alors, qu’Une aventure délaisse ses ambitions en cours de route pour patauger dans les méandres d’un scénario paresseux, pourtant co-signé Jacques Fieschi, qu’on a connu plus inspiré chez Pialat (Police) ou Sautet (Quelques jours avec moi, Nelly et Monsieur Arnaud). On ne compte plus les scènes interminables dans lesquelles les deux personnages jouent au chat et à la souris. Le film semble tellement bégayer qu’il en perd tout enjeu dramatique. Quand finalement la tension revient, il est trop tard. En outre, les personnages secondaires sont bâclés : si Bruno Todeschini apporte beaucoup de finesse à un rôle qui n’en avait sans doute pas autant sur le papier, la pauvre Florence Loiret-Caille doit composer avec du vent pour le personnage ingrat de la petite amie trompée. Mais la plus grosse erreur du film, c’est de commencer par la fin et de se dérouler en flash-back : en utilisant le procédé vieux comme le monde de la fausse piste, Xavier Giannoli s’engage dans une voie de garage. Quand enfin arrive le dénouement, tout le film retombe comme un soufflé. Reste alors la terrible frustration d’avoir perdu 1h40 pour pas grand-chose et l’envie curieuse de retrouver les deux héros du film autre part, autrement, pour leur donner une seconde chance.