Contrairement aux bons vins, Woody Allen vieillit mal et son cinéma avec. Malgré un come-back réussi avec Match Point en 2005, tout le monde sait que le cinéaste new-yorkais s’est considérablement ramolli depuis la fin des années 1990. To Rome with Love, énième carte postale européenne égrainant les quiproquos téléphonés, ne contredira malheureusement pas cette tendance à la paresse complaisante.
Une bonne partie de la rédaction de Critikat.com s’était déjà étonnée de l’accueil critique bienveillant dont le très décevant Minuit à Paris avait pu faire l’objet lors de sa sortie en mai 2011. Le triomphe public fait au film (devenu au passage l’un des plus gros succès internationaux de la carrière du réalisateur) aurait presque pu donner raison à cette célébration de l’esthétique carte postale, jouant du cliché avec une ironie que d’aucuns auront jugée suffisamment inaboutie pour lever tout malentendu sur la finalité d’une telle démarche : entre fantaisie ludique et fantasme de l’embaumement, le débat, quoique pas très intéressant, restait finalement ouvert. To Rome with Love, sorte de mauvais mélange entre Vicky Cristina Barcelona et Minuit à Paris, devrait davantage mettre tout le monde d’accord. La suspicion n’est plus permise : le cliché est ici indigeste et l’intrigue dépourvue du moindre intérêt. Pire, presque vidé de toute écriture, le scénario juxtapose une somme de petites histoires aux correspondances grossières qui relèvent presque de l’amateurisme, contraignant les acteurs à se livrer à des numéros totalement caricaturaux.
Une ville, un film : à l’exception de la parenthèse anglaise (de loin, la meilleure) qui s’intéressait davantage aux rapports de classe qu’aux monuments nationaux (Match Point, Scoop ou encore le sous-estimé Rêve de Cassandre), Woody Allen visite les cités latino-européennes avec la démarche lourdaude d’un touriste américain avide de clichés exotiques. Après Paris, Barcelone dans un Vicky Cristina Barcelona en forme d’adieu un brin pervers à celle qui fut sa muse trois films durant (Scarlett Johansson, depuis disparue des radars du cinéma d’auteur), c’est maintenant le tour de la belle Rome de devenir le théâtre de frustrations typiquement alleniennes, tellement prévisibles qu’elles finissent rapidement par en devenir lassantes. Les couples s’unissent, s’engagent, craignent de faire le mauvais choix, redoutent le regret comme d’autres la mort. L’âge avancé du cinéaste (soixante-dix-sept ans au compteur) n’est certainement pas étranger à cette projection angoissée sur les ratés de l’existence. Seulement, la névrose ambiante (qui permet dans le cas présent de faire la distinction avec la plus banale des comédies sentimentales telles qu’Hollywood en produit à la pelle) est ici un symptôme récurrent, une marque de fabrique qui n’a plus grand-chose d’authentique. Et Rome de devenir une toile de fond là où les décors de Paris et Venise (dans le très beau Tout le monde dit I Love You) étaient employés à bon escient.
En mal d’inspiration, Woody Allen se réfugie dans le mauvais quiproquo vaudevillesque (la prostituée que la famille prend par erreur pour la future belle-fille), s’épanche de manière poussive sur les travers de la célébrité et s’égare dans des réflexions vaguement misogynes où la fille ennuyeuse est opposée à la fille passionnée… forcément mythomane (insupportable Ellen Page qui ressert les mêmes mimiques que dans Juno). Peut-être conscient de la vacuité annoncée du programme, le réalisateur tente de se rattraper in-extremis sur un croque-mort aux talents de chanteur ignorés jusque dans sa propre famille, posant à ce court instant la question de l’épanouissement artistique au sein des classes populaires. Mais le discours du fils est tellement caricatural qu’il ne fait que révéler l’artificialité un brin condescendante du dispositif. Comme le démontre le choix des intérieurs (de belles chambres d’hôtel totalement aseptisées et des décorations dignes d’appartement-témoins), Woody Allen prive (délibérément ?) son film de toute incarnation. Rien d’étonnant à ce que la photographie, astucieusement jaunie par le soleil méditerranéen, donne finalement l’impression que le cinéaste a dépassé depuis trop longtemps sa date de péremption.