Suivant le parcours des dernières transhumances à travers les massifs du Montana, ce documentaire se présente comme le témoin d’un labeur « à l’ancienne ». Belle ambition que de vouloir porter à l’écran cette tâche ardue sous la forme d’une odyssée sans gloire dans le grand ouest américain, mais l’absence d’un véritable point de vue rend le projet quelque peu abscons.
Dans les plaines enneigées du nord-ouest des États-Unis, le climat est rude et la besogne fastidieuse. Sweetgrass se tient scrupuleusement à ce postulat et travaille dans la matière même du film cette rigidité : équipe de tournage très réduite, absence de voix off, logique répétitive des plans. Lucien Castaing-Taylor et Ilisa Barbash ont choisi de suivre pendant plusieurs mois le quotidien de plusieurs bergers, qui mènent leurs troupeaux à la baguette (c’est-à-dire avec l’aide de quelques chiens et d’un cheval) vers des pâturages plus cléments. Accumulant plus de deux cents heures de rushes, on croit à première vue saisir ce qui stimule ici le désir des deux réalisateurs : rendre compte du travail de fourmi que représente l’élevage de moutons et capter dans un même mouvement une « manière de faire » amenée à disparaître, tout comme le seront un jour les exploitations indépendantes. C’est ce que vient très vite confirmer une longue séquence de tonte de laine, où la caméra se pose en véritable observateur de gestes répétés, presque mécanisés, développant une logique de la monotonie qui va progressivement infecter tout le film.
Mais le spleen qui se dégage de la monotonie va bien vite s’effacer au profit d’une univocité désarmante, stigmatisée par le déploiement même du film. L’attentisme de la mise en scène et du montage diluent la portée du « récit » documentaire, pour n’en faire qu’une suite de scénettes épousant sagement le déroulement des événements (parcours à travers les montagnes, garde des moutons dans les pâturages, menace des loups et des ours), et qui peine à transcender un matériau de départ plutôt aride. Il n’est vraiment pas aisé de comprendre où se situent Castaing-Taylor et Barbash, tant la neutralité de leur dispositif multiplie les questions de fond : que souhaitent-ils véritablement filmer ? La relation homme/animal ? L’asservissement des bêtes ? La vie d’ascète des bergers ? L’inhumanité de ce labeur à l’époque moderne ? La seule piste qui semble prendre un peu de poids serait celle d’un récit allégorique sur les pionniers américains, mais elle fait preuve d’une telle sécheresse qu’elle peine terriblement à convaincre.
Ce n’est, en tout cas, pas du côté des personnages qu’il faudra chercher une planche de salut. Ce ne sont que des figures au travail, et les relations entre fermiers sont à peine esquissées. Lors de l’arrivée dans les pâturages, le récit se recentre sur deux bergers, l’un est un jeune dynamique, l’autre un vieux briscard des montagnes. Mais c’est, une fois de plus, une impasse car Sweetgrass ne se préoccupe que très peu des relations de transmission ou même, tout simplement, de ce dont deux hommes isolés au fin fond de la nature ont bien à se raconter lorsqu’il n’y a plus rien d’autre à faire que de surveiller le troupeau. Il faudra l’intervention d’un téléphone portable, le temps d’un coup de fil à sa mère, pour que le jeune berger livre dans une poignante logorrhée toute l’inanité de ce métier qui se meurt. Séquence emblématique d’un documentaire qui ne manque pas d’idées, mais qui les jette à l’eau sans même prendre le temps de les laisser germer.