Caméléon
Véritable ponte chez HBO, Alan Taylor a contribué aux beaux jours de la chaîne durant quinze ans, depuis Oz jusqu’à Game of Thrones en passant par Les Sopranos. Au cinéma, c’est avec le second volet des aventures de Thor qu’il connaît en 2013 son premier succès, rattrapant le kitsch du premier et l’emportant par un rythme effréné. Réalisateur-caméléon talentueux, Alan Taylor se fond aujourd’hui dans l’univers bien établi des Terminators, appelé une fois de plus au secours par une franchise victime d’un épisode bling-bling – celui de Terminator Renaissance, qui donnait à contempler le nombril de son réalisateur à travers une mise en scène aussi démonstrative et vide qu’un clip de Chris Macari. Malheureusement sa maîtrise habituelle de la narration ne brille pas particulièrement ici.
S’il faut reconnaître au scénario certaines subtilités, et notamment le courage de s’attaquer plutôt intelligemment aux questions des voyages dans le temps laissées de côté par ses deux prédécesseurs, on regrettera qu’il scelle leur sort aussi rapidement pour leur préférer une linéarité de récit peu enthousiasmante. Car une fois qu’auront été mis de côté les personnages importants des débuts de la saga – dont la résurrection n’aura donc eu aucun impact –, il ne restera plus au film que de pures scènes d’action qui seront enrobées d’un discours sur le contemporain quelque peu sirupeux, comme par peur de leur insuffisance. De fait, les scènes d’action ne sont pas le point fort de Taylor. Si on ne peut pas dire qu’elles soient ratées, elles n’arrivent pas au niveau de l’ouverture de Terminator 3, incroyablement menée par Jonathan Mostow (également aux commandes de la boule de tension U-571). Et elles paraissent encore plus pâles après le décapage récent de Mad Max : Fury Road, qui se suffisait en plus d’un minimalisme narratif absolu pour devenir pur ballet.
Science-fiction
Le discours plus ou moins politique que rajoute Terminator Genisys est simple : Skynet a changé de visage et s’appelle désormais Genisys ; son objectif est le même (maîtriser les humains), et il y parvient cette fois-ci non plus par une guerre des machines mais par un asservissement pacifique, en centralisant les smartphones de tout un chacun à une NSA mal camouflée. Outre le postulat assez outrageant d’une population applaudissant bêtement à un enchaînement auquel elle serait aveugle (tandis qu’à nous spectateur, nous serait projetée avec clairvoyance la vérité des coulisses), ce qu’on constate surtout c’est que la fiction a disparu. La science-fiction des premiers Cameron est devenue science-tout-court, discours sur la science, en même temps que l’histoire a été ramenée au présent.
Ce que réussissait Cameron à un certain niveau, c’était de déplacer les tensions de la guerre froide pour en actualiser les peurs fantasmées. Si l’idée de Genisys est séduisante (affirmer que le scénario des premiers Terminators s’est réalisé, que nous sommes en plein dans la science-fiction), elle ne fonctionne pas. Paradoxalement, Genisys parle moins du présent que les films de Cameron alors que c’est ce qu’il revendique haut et fort. Il a perdu ce que la science-fiction donnait à percevoir malgré la distance de son monde : les échos lointains du nôtre. Il y a dans l’état des lieux du film de Taylor un vide de réalité. Seule une assez belle idée subsiste : Kyle Reese est marqué par les voyages dans le temps au point que ses actions sont désormais guidées par les souvenirs impossibles d’une existence encore à venir. Au lieu de se rétracter sur lui-même, l’univers riche de Terminator gagnerait à se développer ainsi plus librement, à l’image d’une autre franchise comme Alien.