On caressait vaguement l’espoir, à l’annonce d’un prequel des Soprano avec David Chase aux commandes, d’un retour aux heures glorieuses de la série qui s’est imposée, grâce à la pandémie, auprès d’une nouvelle génération de téléspectateurs. La présence derrière la caméra d’Alan Taylor, véritable couteau suisse de la prestige TV affûté aux productions HBO les plus diverses, ne soulevait pas d’enthousiasme délirant, mais n’avait rien non plus de rédhibitoire. En revanche, la distribution de Michael Gandolfini dans le rôle de Tony Soprano jeune, joué pendant huit ans par son père, suscitait quelques attentes, après sa prestation remarquée dans The Deuce, où il campait un apprenti proxénète reconverti au délit d’initié. Le film a pourtant peu à voir avec lui, mais tout avec le personnage de son oncle et mentor Dickie Moltisanti (Alessandro Nivola). Le patronage de ces « multiples saints » n’est hélas conjuratoire en rien : malgré ses velléités de s’inscrire dans l’air du temps, cette quête des origines pour fans only s’encroûte dès les premiers plans dans une reconstitution bariolée qui parodie The Irishman, sans rien retenir de son ampleur dramaturgique.
The Many Saints of Newark, c’est la définition même du cinéma en train d’imiter la télévision imitant le cinéma, une étape de trop dans la fascination réciproque qu’entretiennent les deux mediums, à l’heure où les productions Warner sortent simultanément aux États-Unis en salles et sur HBO Max. Le film raconte la montée en puissance d’un « soldat » du clan DiMeo, Dickie, en cheville avec un gang afro-américain de Newark, à la veille des émeutes raciales qui secouèrent cette ville ouvrière du New Jersey en 1967. Ce faisant, il cherche à capitaliser sur Black Lives Matter, tout en négligeant la dimension politique du mouvement, éclipsée au profit d’un ressort scénaristique qui fait du racisme antinoirs le moteur d’un crime passionnel : sur la composante sexuelle de cette haine, Detroit, de Kathryn Bigelow, était autrement plus dérangeant. Chase et Taylor ne se plantent pas dans les grandes largeurs comme David Milch et Daniel Minahan il y a deux ans avec leur suite embaumée de Deadwood, mais leur retour souffre, dans une moindre mesure, des mêmes travers. En premier lieu, la condensation d’enjeux narratifs qui auraient gagné à être développés sur la longueur d’une mini-série et que le scénario essaie ici de faire rentrer au chausse-pied, avec pour béquille une voix off d’outre-tombe caricaturale, celle de Christopher Moltisanti. Certes, on reconnaît la patte de dialoguiste de Chase, qui accouche ici et là de saillies hilarantes, mais jamais elles n’atteignent la grandeur bouffonne des Soprano, miroir déformant et pourtant si ressemblant du capitalisme et des méthodes managériales de la famille Amérique. On se souviendra d’ailleurs que si les (très lynchiennes) scènes d’onirisme de la série étaient réussies, les flashbacks restaient assez convenus. Or, The Many Saints s’inscrit sans vergogne dans cette esthétique vintage pétrifiée dans un folklore où accents, accessoires et permanentes dissimulent mal l’opportunisme pataud de la démarche. Logiquement, les acteurs ne pouvaient que forcer le trait, réduits au statut de guest stars d’un sketch raté de SNL ; mention spéciale à John Magaro, aussi grotesque dans le rôle du consigliere Silvio qu’il pouvait être subtil dans First Cow. Seule Vera Farmiga s’en tire plutôt bien, injectant une folie palpable à la figure de Livia Soprano, la matriarche dépressive et manipulatrice jouée avant elle par l’inoubliable Nancy Marchand.