Terminator 2 commence par une terrible vision d’apocalypse : en 2029, les hommes et les robots s’affrontent sur un tas de cendres et de détritus, tristes restes d’une guerre nucléaire. Dans cette nouvelle version restaurée en 3D, les débris s’envolent mélancoliquement jusqu’au spectateur, les balançoires enflammées se détachent de l’écran, et le visage effrayant du Terminator sort au ralenti des volutes de l’explosion nucléaire pour mieux nous darder de ses yeux rouges. Plus que jamais, la 3D renforce l’art consumé de Cameron dans la stylisation du chaos et de la destruction pour en faire un spectacle à la fois poétique et terrifiant. Il faut dire que la restauration en 3D de Terminator 2 correspond à un projet de longue date pour le cinéaste. En 1995, il réalisa en effet pour le parc d’attraction de la Universal un petit film 3D de douze minutes intitulé : Terminator 2 3D : Battle Across Time, pour la modique somme de 60 millions d’euros.
La foi en l’action
Dans ce chef-d’œuvre « surbotoxé » par la 3D, le cinéaste manipule constamment les apparences. Ici tout le monde se camoufle, à commencer par les deux robots envoyés depuis l’avenir – le T-1000, venu pour tuer à l’âge de l’adolescence le futur chef de la résistance John Connor, et le T-800, reprogrammé par Connor adulte pour protéger ce dernier. Lors de la première course contre la montre entre les deux robots à la recherche de John, le cinéaste détourne astucieusement les attentes du spectateur du Terminator de 1984 : le T-800 a la gueule farouche et les muscles saillants d’Arnold Schwarzenegger, l’acteur qui jouait justement le tout premier Terminator assassin. Cameron entretient sciemment son allure inquiétante de bad boy, lui qui commence par braquer un bar de bikers, roule en Harley Davidson, fusil à pompe à la main. Au contraire, le T-1000 a un visage d’ange, une silhouette frêle et un uniforme de policier. L’erreur et la frayeur du spectateur atteignent leur apogée alors que le T-800 fait face au jeune John : la botte de roses qu’il transporte s’effondre en 3D dans notre direction et dévoile au ralenti le canon d’un fusil. L’instant d’après, le contrechamp révèle la présence du T-1000 face au robot – c’était en fait lui que « Schwarzy le robot » visait. Ainsi la vraie nature des personnages ne se révèle pas par les apparences, mais par l’action. Par exemple, les personnages prouvent par leurs actes leur humanité. Sarah Connor, décidée à éliminer Miles Dyson, le futur inventeur de l’IA Skynet à l’origine de la guerre contre les humains, se révélera incapable de tuer. Et le T-800 respecte son engagement auprès du petit John Connor : plus aucune perte humaine. Le blockbuster prend donc tout son sens : il est la déclaration inlassable d’une souveraine confiance dans la vérité de l’action. D’où un évident lyrisme des scènes les plus « musclées », volontiers filmées au ralenti, sublimées par les reliefs saillants de la 3D. Alors que le jeune John file seul en scooter sur la Los Angeles River, un énorme camion conduit par le T-1000 se jette dans le vide au ralenti depuis les hauteurs de la route pour poursuivre l’adolescent. La folie destructrice de la machine s’incarne complètement dans la démesure et l’ampleur de la course-poursuite. La vérité du T-800 se révèle au contraire dans la constance héroïque de son corps gigantesque, lui qui traverse épiquement tous les dangers pour sauver John, avançant sans ciller sous l’impact des balles, lui dont le visage et les membres partent stoïquement en lambeaux dans une lutte acharnée contre le T-1000. Au contraire, le robot exterminateur, fait de métal liquide, se définit par son art du simulacre et du mensonge, lui qui est capable de copier tout ce qu’il touche.
La poésie des éléments
C’est bien cet être de mercure resplendissant qui est à la fois un enjeu majeur de la narration (comment éliminer un corps capable de toujours se reformer ?) et du spectacle visuel. Ce qui impressionne certainement le plus, ce sont les séquences de morphing (aussi considérablement rajeunies par la restauration numérique) où le visage du T-1000 transparaît fluidement sous le visage d’un autre. Confondus avec une flaque d’eau, le visage impassible puis la silhouette toute entière du T-1000 surgissent à même un sol carrelé. James Cameron fut alors le premier à créer entièrement numériquement des personnages, grâce à la collaboration d’Industrial Light and Magic (un an plus tard, l’entreprise créait la plupart des dinosaures de Jurassic Park). Ni tout à fait aqueux, ni tout à fait terrestre, le T-1000 prolonge la fascinante poétique des éléments déjà présente dans le personnage d’extraterrestre d’Abyss, le précédent film de James Cameron. La créature au corps translucide, aquatique et lumineux y alliait elle aussi de manière spectaculaire le solide et le liquide. Quant au T-1000, les balles laissent sur son corps des auréoles de métal brillant, comme de minuscules ondes de choc à la surface de l’eau ; son corps fendu en deux par une barre métallique s’écarte comme une corolle de fleur, avant de se refondre en un seul geste. Le feu et la glace s’y affrontent également : le corps cryogénisé du Terminator assassin, brisé en mille morceaux, se rassemble à nouveau sous l’effet de la chaleur d’une vaste usine métallurgique. Pour raconter le cauchemar prométhéen d’une humanité asservie par sa propre technologie, James Cameron donne au récit une puissante dimension cosmique, où, comme dans un poème halluciné de Rimbaud, s’illustre génialement le vaste dérèglement du monde. L’ensemble du film est traversé par cette alternance oxymorique entre un univers froid et bleuté, dominé par l’informatique et la technologie à haute dose (même Sarah Connor, internée dans asile au bleu pâle clinique, sera environnée d’écrans et de caméras de surveillance), et un vrai festival pyrotechnique d’explosions enflammées. Étrange paradoxe : pour exprimer l’angoisse d’un monde gouverné par les machines, la création spectaculaire de James Cameron dépend plus qu’aucune autre d’une débauche innovante et virtuose d’effets spéciaux. Au fond le T-800, c’est le cinéaste lui-même – un cheval de Troie de l’ère de la technique qui en exploite tous les possibles pour l’amener à quelque chose d’autre : une œuvre d’art, tout simplement.