Extrait du dossier de presse : « Fort d’un catalogue de plus de 8000 personnages, Marvel Entertainment, LLC, est l’un des principaux groupes de médias du monde. » Bref, la firme dispose de très copieuses réserves et n’a pas fini de produire les aventures de ses héros, pour le meilleur et le moins bon. Voici Thor, avec Kenneth Branagh aux manettes.
C’est un peu comme un fil à la patte, alors autant en finir de suite. Il n’y a pas la publicité Haribo en projection de presse, c’est donc l’avancée des étoiles du logo Paramount qui représente le moment de relief le plus troublant. Pour être plus juste et précis, le film donne lieu à quelques trouvailles, particulièrement pour certains combats en apesanteur, vraisemblablement pensés pour la tridimension et justifiant un peu le fait de chausser les pesantes lunettes. Mais, au bout du compte, rien de bien nouveau sur ce front ; on aurait tendance à croire que si Thor est en 3D, ce n’est pas parce qu’il le vaut bien, mais parce qu’en 2011, il le faut bien.
Deuxième fil à la patte : le cas Branagh. Issu des planches et de la prestigieuse Royal Shakespeare Company, on peut dire qu’il a fait un certain chemin depuis. Les bonnes langues diront toute la cohérence de le voir aux commandes d’un film où les thèmes shakespeariens abondent : déchirements fraternels autour du pouvoir et de la figure paternelle, intrigues, affrontements entre royaumes, trahisons familiales, bannissements et foisonnement de coups fourrés. Les mauvaises langues feront remarquer que ce matériau dramaturgique ne donne lieu à aucun développement susceptible d’offrir une ampleur à l’arc narratif proposé par l’armada de scénaristes (Ashley Edward Miller, Zack Stentz, Don Payne) et collaborateurs à l’écriture (J. Michael Straczynski et Mark Protosevich). On songe particulièrement au personnage de Loki, le frère tourmenté par la jalousie, dont le supposé rapport amour-haine envers Thor ne bénéficie pas de l’ambivalence qui aurait pu enrichir le récit.
Les sagas Marvel ont introduit une tendance structurelle dans le cinéma d’action : une dose de complexité psychologique – présente dans les comics et travaillée de façon parfois fine et passionnante dans leurs adaptations cinématographiques. À savoir la construction de personnages en proie à de déchirants dilemmes du fait de leur double condition : homme et super-héros. Le premier Spider-Man (2002) de Sam Raimi reste un incontestable jalon à cet égard. Malgré un potentiel certain, le dieu du tonnerre doté de son ravageur Mjolnir (marteau) ne présente pas une grande complexité. Thor (Chris Hemsworth) est un guerrier valeureux promis à régner sur le royaume d’Asgard que son père, le sage Odin (Anthony Hopkins), est parvenu à pacifier malgré une géopolitique galactico-céleste à très haut risque. Il s’agit aussi d’un être impétueux et belliqueux, disons qu’il ne faut pas le chercher longtemps pour le trouver. Ce fâcheux travers le conduit à relancer une guerre avec les Géants de glace. Aussi contrit que fâché, Odin le bannit sur Terre, où il est recueilli par un trio de scientifiques, dont Jane Foster (Natalie Portman), une jolie astrophysicienne qui ne manquera pas de tomber dans ses (très gros) bras. À la manœuvre là-haut, Loki (Tom Hiddleston), son fourbe de frère, fricote en fait avec les Géants de glace. Il en profite pour neutraliser Odin, prendre le pouvoir et enchaîner les trahisons comme d’autres enfilent les perles.
Par le biais d’une porte céleste, le récit navigue donc entre monde des dieux et monde des hommes, ce qui donne lieu à une franche dichotomie entre la surcharge pompière assez harassante d’Asgard et le prosaïsme de ce coin paumé du Nouveau-Mexique où Thor atterrit. Avec un personnage de trappeur canadien qui aurait essayé de se déguiser en surfeur californien, la rencontre entre ces deux mondes donne lieu, sous les auspices du décalage et de l’inadaptation, à des moments de comédie pas renversants mais plutôt sympathiques. Aussi spectaculaires que soient les combats, on peine à se laisser entraîner, comme si la débauche d’effets occasionnait une banalisation, selon une logique proche de celle du train fantôme. Thor se consomme sans déplaisir, le savoir-faire opère, mais, revers de la médaille, sans surprise ni gourmandise.
Thor étant un dieu, il représente en fait une figure particulière dans la nébuleuse des super-héros. Créature non humaine malgré son aspect, son statut divin l’impose d’emblée comme un être doté de pouvoirs surnaturels. N’est donc pas convoqué ici l’effet de surprise – et souvent de plaisir – consistant à suivre le personnage dans le cheminement de sa transformation et de la découverte de son joyeux attirail. En fait, le film propose une inversion. Banni sur Terre, il se retrouve démuni – n’ayant plus le contrôle sur son fameux Mjolnir – tout en restant fort comme un bœuf. Et c’est en faisant l’apprentissage de cette humilité qu’il accède à l’héroïsme. Le retour à son statut de dieu-super héros puis sur Asgard fait naître le dilemme : sa belle astrophysicienne est restée sur Terre. Alors qu’il a fallu détruire le pont et la porte céleste permettant de se rendre hors de son royaume, il subit une sorte de condamnation à l’isolationnisme divin alors qu’il remettrait bien le couvert avec certains charmes de l’humanité. Mais si une porte se ferme, l’une reste bien ouverte, celle d’une suite où s’engouffre sans scrupule le terme du film.