L’écrivain américain contemporain le plus mal servi en matière d’adaptation de ses œuvres écrit un scénario. À la demande de Paul Schrader, Bret Easton Ellis signe The Canyons, sorte de thriller matérialiste proche de l’univers de son dernier roman, Imperial Bedrooms. Le tournage d’un autre thriller ayant été abandonné pour cause de crise financière, les deux hommes se sont entendus autour d’un projet original, fortement inspiré de l’œuvre littéraire d’Ellis.
Jugeons plutôt : Christian (James Deen), un jeune loup, producteur arriviste de Hollywood, mène une vie sexuelle bien remplie, faite de parties fines conjugales avec des inconnus rencontrés sur Internet et d’une relation adultère avec une actrice absente des plateaux de tournage, Tara (Lindsay Lohan). Une situation triangulaire qui favorise la paranoïa : Christian observe de plus en plus de détails inquiétants, révélateurs d’un espionnage à peine dissimulé.
La réalisation de Paul Schrader, ainsi que la photographie de The Canyons, s’adaptent particulièrement bien à cette irruption de motifs d’inquiétude dans des existences qui semblent totalement étrangères à celle-ci. Des plans largement ouverts sur de luxueux appartements, et des extérieurs inondés de soleil, filmés d’une manière très standardisée, tranchent avec cette pesanteur. Derrière leurs lunettes de soleil, ces papillons du milieu cinématographique jettent des regards fuyants, sachant pertinemment que le temps de leur situation hollywoodienne est compté. Des images de cinémas désuets, en ruine, viennent compléter cette vanité sans cesse rappelée aux personnages, leur première ennemie. Si cette composante du scénario, sans conteste maîtrisée par Bret Easton Ellis dans son écriture, se retrouve dans The Canyons, l’écrivain y a mis d’autres thèmes de prédilection. L’ombre menaçante de meurtres sauvages, la disparition progressive de la communication entre les êtres, les innombrables personnages connus uniquement par leurs prénoms… Autant d’éléments qui fournissent à The Canyons un côté film noir au soleil, Boulevard du Crépuscule des Idoles, plutôt sympathique.
Malheureusement, Ellis se complaît un peu trop dans une forme scénarisée de ses propres ouvrages, et un élément bien particulier de son écriture littéraire, qu’il tente d’appliquer à l’écriture filmée, ne peut être que manqué par Schrader. Les longues phases de dialogues, qui faisaient attendre les meurtres dans American Psycho ou révélaient le mal-être dans Les Lois de l’attraction, ennuient ici profondément. Pour ces moments, la réalisation s’efface un peu plus, et les acteurs peinent à tenir l’attention jusqu’à une potentielle révélation, ou la phrase qui viendra éclairer tantôt la vacuité, tantôt l’acuité du dialogue. C’est que temps littéraire et cinématographique ne s’accordent pas systématiquement. Les dialogues que le lecteur pouvait quitter en fermant le livre, ou lire plus superficiellement jusqu’à leur chute, plombent ici la durée du film.
Malgré les efforts de James Deen, qui s’en sort de manière honorable pour son premier rôle hors industrie porno, The Canyons perd rapidement le spectateur dans un rythme trop littéraire pour constituer un objet cinématographique digne d’intérêt. La multiplication des scènes avec Lindsay Lohan, au jeu laborieux, et des séquences « chocs » faisant exploser les violences (physiques, morales) contenues de Christian closent le cercle vicieux dans lequel s’enferme peu à peu The Canyons. À tout miser sur l’écrivain, le film reste au niveau du pied de la lettre.