« Rien, je n’y comprends rien… » : les premier mots du vieux bûcheron incarné par Takashi Shimura dans Rashômon d’Akira Kurosawa, en 1950, posaient les bases d’un cinéma sceptique et désorienté, confrontant des points de vue contradictoires sur un même événement et se perdant à chercher la vérité d’un fait divers non élucidé. Dans la tradition du film de procès, dont Rashômon est un pilier fondateur, The Third Murder raconte l’enquête d’un avocat cherchant à défendre un homme accusé de meurtre. Malgré la confession de son client, des informations contradictoires l’amènent peu à peu à douter de sa culpabilité… Présenté au dernier Festival de Venise, The Third Murder représente un pas de côté dans la filmographie du réalisateur japonais Hirokazu Kore-eda, habituellement intéressé par les problématiques familiales, intimes et sociales, notamment autour de la question de la filiation.
Stratégie judiciaire
Au départ, le film semble évacuer la recherche de la vérité en entrant dans l’intrigue par le point de vue de l’avocat, qui cherche avant tout à établir la version de l’histoire la plus défendable pour son client. Il raconte d’abord l’histoire des arcanes d’une confrontation judiciaire : le raisonnement stratégique, la confrontation des points de vue, les tractations entre les partis sont autant d’étapes dans le travestissement de la vérité par la justice. Adoptant l’esthétique d’un polar néo-noir, The Third Murder décrit patiemment un engrenage qui met le spectateur sous pression : précision de la photographie, teinte froide des couleurs, profondeurs des noirs, musique atmosphérique qui construit des ambiances pesantes. Les lents travellings avant aériens, assez génériques mais d’une certaine beauté, isolent les personnages dans la complexité architecturale de Tokyo tandis que le dernier plan, filmant de trois-quarts l’avocat à la croisée des routes, inscrit définitivement dans l’espace les incertitudes de son héros. La relativité toute pirandellienne de la vérité (« Chacun cherche sa vérité », écrivait le dramaturge italien en 1916) est donc au cœur de la mise en scène de The Third Murder. Mais ce qui importe en réalité à Kore-eda, c’est moins la vérité elle-même que le désir de vérité des personnages (et, indirectement, du spectateur), qui élaborent des interprétations en fonction de leurs visions de l’homme. The Third Murder s’intéresse moins à la résolution du crime lui-même qu’au regard que l’affaire permet de porter sur les personnalités des personnages.
Face à face
Au contraire de Rashômon, les différentes versions de la vérité ne sont pas fournies par les témoignages contradictoires des protagonistes, elles sont avancées par l’accusé lui-même, qui change de déposition au fil des semaines. Ces retournements nécessitent de changer de stratégie judiciaire, mais la vérité continue d’échapper à tous. Dès lors, le film se rapproche de ses personnages, par l’échelle de ses plans et ce que permet son rythme relativement lent. À ce titre, les scènes de face-à-face au parloir entre l’avocat et l’accusé matérialisent parfaitement ces portraits et offre aux acteurs (notamment le vétéran Kôji Yakusho, héros de L’Anguille d’Imamura) de belles fenêtres de composition par des gros plans sur leurs visages glacés, vitrifiés, comme flottants. Pour autant, la mise en miroir de l’avocat et de l’accusé rappelle que ce thriller judiciaire n’en demeure pas moins extrêmement attentif à la psychologie de ses personnages et en particulier à leurs relations familiales.