Hirokazu Kore-eda fait partie des réalisateurs les plus constants et intimistes du cinéma japonais contemporain : creusant son sillon, de Nobody Knows à Notre petite sœur, autour d’une œuvre domestique en demi-tons, il ne cesse de s’intéresser aux modèles familiaux et, à travers eux, à une certaine perception de la cyclicité du temps. Après la tempête, qui s’était fait discret dans la sélection cannoise Un Certain Regard 2016, sort aujourd’hui avec la réputation d’un objet mineur. Pour autant, à y regarder de près, le film est pétri de qualités, de détails subtils, et se nourrit d’un naturel délicieusement authentique.
Famille impossible
Après la tempête fait le récit de vie d’un écrivain de quarante-cinq ans récemment divorcé, qui mène une activité de détective privé pour nourrir un projet de roman et cherche dans le même temps à renouer avec son ex-femme et son fils. Un après-midi passé avec son fils est l’occasion d’un moment partagé en famille avec sa propre mère, incarnée avec une malice pince-sans-rire par Kirin Kiki, grande actrice japonaise régulièrement apparue dans le cinéma de Kore-eda. Or, un typhon éclate, et le groupe, complété par Kyoko venue chercher l’enfant, doit passer la nuit ensemble, sur place — laissant entrevoir la possibilité éphémère d’une famille recomposée.
Derrière la figure du père raté, Ryota (Hiroshi Abe) est surtout un homme qui ne rentre pas dans les cases — il se tape d’ailleurs littéralement la tête dans les encadrures de portes de l’appartement de sa mère. C’est un homme menteur, joueur, rêveur, responsable par son comportement de la solitude dans laquelle il se trouve. Kore-eda en fait pour autant un personnage attachant, un grand enfant pris entre des aspirations contradictoires (être un père respectable à la vie rangée, embrasser pleinement la vie incertaine d’écrivain, vivre au présent en cédant à son amour du jeu). Par petites touches, il suggère un héritage paternel que Ryota entrevoit lui-même chaque jour davantage : celui d’un père duplice, joueur et buveur, dont le décès en amont du récit (comme dans Notre petite sœur) est le point de départ du film. L’ombre portée du père sur la vie de Ryota est une référence sous-jacente permanente qui porte ce personnage absent au centre des problématiques du film.
Infusion cinématographique
La mise en scène du récit est, une fois de plus chez Kore-eda, d’un grand naturalisme, retenant ses effets et allongeant les plans. Le matériel de tournage, que l’on sent léger, capte des intérieurs modestes sous une lumière douce et nette. La musique est, en dehors d’un sifflement badin entendu de temps en temps, quasi inexistante ou intra-diégétique. Les espaces du film, une cité décrépie de banlieue où Kore-eda a passé son enfance et adolescence, sont une grande force du film : l’attention portée à certains angles de prise de vue sur les bâtiments, comme à certains détails (notamment l’aire de jeu, au centre de la cité, construite autour d’un énorme toboggan en forme de pieuvre) fait sentir une réelle appropriation de l’endroit. Bien plus, le travail sur le temps que mène Kore-eda est particulièrement fin, comme infusé à l’ensemble de son film (et au-delà, de sa filmographie) : on y interroge ce que signifie faire son deuil (d’un père, d’une épouse, d’une époque de sa vie), vivre dans le présent (« on doit remercier l’époque, toute mesquine qu’elle soit »), dépasser les histoires d’amour (« on n’aime que ce que l’on a perdu »). La présentation de plusieurs générations sous un même toit et le retour du héros à l’appartement de son enfance distillent une doucereuse nostalgie d’un état familial idéal, tandis que la récurrence de Hiroshi Abe et Kirin Kiki (vus notamment dans Still Walking et I Wish) à l’échelle de la cinématographie de Kore-eda tisse un lien de parenté entre les films et étend à l’ensemble de l’œuvre le sentiment de cyclicité et de passage du temps. Le typhon, à l’origine de la scène matricielle du film (Ryota et son fils attendant ensemble l’éclaircie tapis dans le jardin d’enfants de la cité, comme un écho à l’enfance de Ryota) synthétise parfaitement, par son ampleur temporelle et la parenthèse qu’il organise dans le film, l’aspiration du cinéaste : faire naître un sentiment d’absolu à partir d’un moment qui semble comme suspendu et en même temps maintes fois répété.