Trois héros, beaux et courageux, doivent remonter un fleuve perdu au cœur d’une forêt vierge, afin de ravir une plante magique à la barbe de quatre conquistadors fantômes et d’un militaire psychopathe. Avec un tel pitch, Jungle Cruise s’avance comme un avatar contemporain du film d’aventures, genre aujourd’hui tombé en désuétude, mais qui fit les beaux jours du Hollywood classique et des productions Amblin (Indiana Jones, À la poursuite du diamant vert, Les Goonies). La raison de cette désaffection tient peut-être à une impasse que cette production Disney ne surmonte jamais tout à fait : le spectacle de l’aventure suppose l’adhésion complète d’un spectateur désormais rompu aux ficelles du grand spectacle. Si certains cinéastes se sont ingéniés à renouveler le genre (Inception de Nolan s’est par exemple révélé un intéressant film d’aventures moderne, dans la mesure où l’imbrication des rêves rend possible l’accumulation de décors exotiques et de péripéties), le ton constamment sarcastique des dialogues assimile davantage le film à une simple parodie. C’est par exemple le cas lors d’une scène où le grand méchant, Prince Joachim (Jesse Plemons), s’entretient avec deux abeilles dont les mouvements indiquent, sur une carte, l’endroit exact où se cache le trésor. Face à l’échange, deux sidekicks en mal d’inspiration déclarent : « Et dire qu’on est en train de recevoir les ordres d’une abeille. » La caméra élargit alors le champ dans un plan large, de sorte que le découpage souligne le ridicule de la situation. Il y a là une manière pénible de gagner sur tous les tableaux : si cette belle idée (déchiffrer la wiggle dance des abeilles pour se repérer dans l’espace) rend la scène assez envoûtante, la distance aussitôt prise procède d’une réflexion ironique sur la naïveté du scénario.
Inutilement dispendieux en méta-discours, le film adopte un mouvement heurté lors de ses séquences d’action (fréquemment interrompues par des commentaires vachards et sans intérêt), dont la mollesse trahit l’incapacité du metteur en scène à jouer avec ses décors, pourtant nombreux. C’est dommage, car la première scène située dans la forêt amazonienne dessine l’idée que les dangers de la faune et de la flore tropicales ne sont que des simulacres : tandis que Frank Wolff (Dwayne Johnson) conduit des touristes crédules dans son petit navire, un groupe de prétendus cannibales assaillent le navire – jusqu’à ce que le spectateur découvre qu’ils sont dirigés en catimini par le skipper, qui revêt alors la casquette de metteur en scène. Jamais maintenue à l’échelle du film complet, cette piste aurait été d’autant plus fructueuse qu’elle révèle la véritable nature de Jungle Cruise, prolongement fictif d’une attraction foraine (comme Pirates des Caraïbes en son temps), qui a connu un grand succès à Disneyworld en Floride. Jaume Collet-Serra met davantage l’accent sur l’efficacité de son récit, qui ne fonctionne réellement que lors de courtes séquences de terreur. Véritable antagoniste du film (au point qu’on aimerait qu’il s’y déroule entièrement), la forêt numérique donne ainsi naissance à des conquistadors-zombies, sortes de créatures composites arrachées aux feuillages et à la glaise. Ces monstres fournissent au film ses meilleures scènes, comme si le cinéaste abandonnait quelques minutes son cahier des charges pour s’adonner à son passe-temps favori – donner naissance à un bestiaire grotesque et répugnant. Raté quand il tente de renouveler le cinéma d’aventure, lourd lors de ses excursions comiques, le film ne convainc que lorsqu’il retrouve ce qui a fait la marque des grands Disney : introduire un peu d’effroi au cœur d’une histoire pour enfants.