Si Les Veuves se présente comme un « film de braquage », en reconduisant la structure propre au genre (recrutement, préparatifs, exécution), son récit se révèle étonnement plus tortueux, au point qu’il semble autant emprunter à Heat de Michael Mann qu’aux fictions politiques de David Simon (Show Me a Hero et la saison 4 de The Wire). Les nombreux fils narratifs, parfois maladroitement entrelacés, s’articulent toutefois autour d’un même objet que serait le pouvoir. Le braquage, le cadre de l’élection municipale, les rapports de sexes, les tensions raciales, l’ambiguïté qui se noue entre une escort-girl et son client (qui finit par réduire l’horizon de leur relation à une simple « transaction ») : tout s’arcboute autour de rapports de force où chacun doit tirer parti ou négocier avec une situation donnée. Il est en cela logique que le film porte jusque dans son titre la marque d’une dépossession : les veuves, ce sont précisément celles qui ont perdu quelque chose (leurs maris, dès la scène d’introduction) et qui vont tâcher de recouvrir une parcelle de pouvoir. Exceptée Veronica (Viola Davis), le veuvage est d’ailleurs avant tout vécu par les personnages comme un déclassement social et économique. Il n’apparaît pour autant pas comme le point de départ de l’édification d’une communauté solidaire de laissés-pour-compte : si les veuves travaillent momentanément ensemble, c’est uniquement pour surmonter leurs difficultés individuelles, rien de plus.
Prendre le contrôle
L’apparente cohérence thématique, qui pourrait théoriquement contrebalancer les faiblesses dramatiques d’un récit courant trop de lièvres à la fois, bute toutefois sur un nœud. Il y a comme une contradiction entre le mouvement que suit en surface le film et ce que pointent les scènes où Steve McQueen semble le plus investi. Là où le dernier plan dessine lourdement une résistance à l’individualisme dépeint (l’héroïne fait preuve d’un élan d’empathie désintéressé à l’égard d’une de ses anciennes alliées), les scènes les plus marquantes sont pourtant celles où s’expriment pleinement la voracité des dominants, qui dans le film semblent prendre littéralement le contrôle de la mise en scène. Les Veuves n’est ainsi jamais plus intéressant que lorsqu’il organise une bascule entre :
A) une situation sans conflictualité où évolue un personnage – par exemple, le chauffeur de l’héroïne se trouve dans son appartement – et B) l’apparition d’une force extérieure qui vient s’immiscer de force pour prendre le dessus sur l’autre et réorganiser la dynamique du découpage. Toujours dans le même exemple, la porte du personnage est forcée, puis la scène se finit sur un caïd enfoncé dans le canapé pendant que le propriétaire des lieux est battu à mort en hors-champ par ses sbires. Limpidement, la séquence s’ouvre sur la victime et se referme sur l’agresseur.
Le dénouement témoigne dès lors d’un paradoxe qui mérite d’être relevé : les personnages négatifs, qui inspirent manifestement le plus le metteur en scène (à l’image de Jatemme, le psychopathe incarné par Daniel Kaluuya), sont tous châtiés (y compris le maire élu, qui gagne un poste qu’au fond il ne voulait pas et perd sa fortune mal acquise) pour servir une résolution lourdement morale et en décalage avec la matière des scènes les plus notables. La raison qui explique le caractère si inégal du film se trouve dès lors peut-être là : davantage que les veuves, ce sont les truands que Steve McQueen souhaitait réellement filmer, quitte à aller contre le sens de son propre récit.