À partir d’images tournées à travers Amsterdam, Steve McQueen entend explorer l’histoire de sa ville d’adoption durant l’occupation nazie. Occupied City prend la forme d’une déambulation de quatre heures dans les rues de la capitale, guidée par une voix off dressant différents portraits de Juifs amstellodamois en proie aux persécutions puis aux déportations. Si la cartographie urbaine constitue l’une des réussites du film, qui chemine entre les foyers de mémoire, McQueen peine à trouver un équilibre entre récit historique et velléités formelles. Plus plasticien qu’observateur, il cède régulièrement à la tentation de la joliesse et ne déplie aucune situation sur la durée, de sorte que les plans s’enchaînent avec un systématisme assommant, comme autant de tableaux sur lesquels se plaque la récitation de la narratrice. Occupied City transforme alors la ville toute entière en une archive lourdement itérative, égrenant les récits de victimes, à l’instar des mémoriaux que le film visite à plusieurs reprises.
Lorsque McQueen tente autre chose que de collecter des témoignages, le film sombre dans une littéralité lourdingue : dans un geste presque opportuniste, la mise en scène se livre à des associations faciles avec l’iconographie de l’Holocauste (des grilles obstruant fréquemment le champ, une pile de vêtements abandonnés lors d’une braderie, des gravats fumants comme des cendres, etc.) jusqu’à rejouer le départ en train pour les camps de concentration en embarquant la caméra à bord d’un tramway. Tout aussi gênants sont les rapprochements opérés par le film avec l’actualité politique, lorsque le montage associe les forces nazies à la police encadrant une manifestation contre les restrictions liées au Covid. Seules quelques saillies picturales parviennent discrètement à faire dialoguer le présent et une esthétique de la disparition : ici, des passants perdus dans le brouillard ou réduits à n’être que des ombres projetées par le soleil couchant ; là le reflux d’une rivière évoquant un retour vers le passé. C’est lorsqu’il s’affranchit de son devoir de mémoire que le film trouve une certaine ampleur, à l’image d’une longue séquence nocturne allégée de la voix off, durant laquelle la caméra flotte comme un spectre dans les rues désertées. Plutôt que de se perdre dans un parallèle thématique douteux, McQueen dégage alors de l’atmosphère du confinement une idée qui donne enfin corps au projet du film : c’est une fois vidée de ses habitants que la ville semble peuplée de fantômes.