En 1964, Sergio Leone réalise, à l’insu de tous, son remake de Yojimbo de Kurosawa, Pour une poignée de dollars. Le cinéma italien des années 1960 ne s’est pas embarrassé de scrupules quand il s’est agi de récupérer l’inspiration au-delà de ses frontières – avec Duel au couteau, Mario Bava réalise non seulement une contribution en demi-teinte à la mode des films de vikings (initiée par Les Vikings de Richard Fleischer), mais aussi sa propre version de L’Homme des vallées perdues de George Stevens, 1953. C’est donc un western viking, situé dans le nord de l’Europe mais tourné en Italie – trop de genres, trop d’approximation ? C’est sans compter avec le talent d’artisan d’un Mario Bava toujours virtuose.
La séquence d’ouverture de Duel au couteau donne le ton : en bon « récit viking », le film est placé sous le sceau de la fatalité, de la volonté d’Odin. C’est sous le regard du dieu borgne, donc, que vont se croiser les destinées de Karin, Arald, Hagen et d’un mystérieux inconnu. Karin et Arald sont mari et femme mais ce dernier a disparu en mer. Hagen, quant à lui, a attiré sur le village commun à tous la fureur d’un autre roi local, après avoir massacré ses sujets, ce qui lui a valu l’exil. Mais avec la disparition d’Arald, Karin se voit rapidement menacée par le banni qui rêve de prendre sa place – et elle serait déjà tombée, victime de la vindicte revancharde, s’il ne s’était présenté un étranger pour la sauver – un étranger qui a plus à voir avec l’histoire des trois personnages qu’il n’y paraît.
Avec ce Duel au couteau, Carlotta entend manifestement explorer un nouveau pan de la créativité de Mario Bava, après La Baie sanglante et Les Vampires. Foin de giallo ici, non plus que de gothique flamboyant : nous nous trouvons en plein dans le récit d’aventures hollywoodien, tendance Richard Fleischer. Mais que l’on ne s’y trompe pas : bagarres homériques et décors exotiques sont évidemment ici de mise, mais Bava ne se contente aucunement de donner dans l’attendu. Duel au couteau constitue avant tout un récit psychologiquement étayé autour de la figure de la famille et du motif de la vengeance. Plus proche, en cela, des problématiques des récits mythiques et mythologiques islandais – l’Edda poétique en tout premier lieu – Bava se focalise donc, sous couvert de réaliser un film d’exploitation pur et dur, de lier à la fois ces références et son intention de réaliser « sa » version de Shane / L’Homme des vallées perdues.
Visuellement, Bava se trouve ici face à un défi : si les duels à proprement parler se déroulent au sein d’espaces clos déjà largement parcourus par le réalisateur, la majeure partie du récit se situe en extérieurs, nécessité à la fois du « genre viking » et du western dont le film s’inspire. Bava tourne ici en techniscope, une sorte de cinémascope du pauvre où les bandes noires sont rajoutées artificiellement, ce qui ne l’empêche aucunement de composer des plans d’une grandeur épique dès le départ. Tout, depuis la composition de Cameron Mitchell dans le rôle de l’étranger mystérieux, jusqu’au traitement visuel, concourt dans Duel au couteau à donner au récit une dimension tout aussi intérieure qu’extérieure : à mesure que progresse son personnage, la solitude toujours plus importante du personnage de Cameron Mitchell trouve son écho dans les plans écrasants, où les protagonistes se réduisent dans une image où l’environnement règne en maître. La conclusion, d’une amertume inattendue, se fera donc sur la disparition ultime du personnage dans un plan tout entier dédié à la côte, objet de tous les fantasmes dans le film.
Jean-Pierre Dionnet est encore une fois présent pour agrémenter la vision de ce Duel au couteau, avec un court entretien, comme d’habitude passionnant. Aux côtés de la bande-annonce, ce bonus reste quand même bien mince, surtout comparé aux trésors proposés par l’édition de ce qui apparaît donc comme la pièce maîtresse de ce triptyque Bava : La Baie sanglante – d’autant plus que le bonus caché des deux autres DVD de Mario Bava s’avère ici être absent. Mais qui sait, peut-être nous aura-t-il échappé ?