Pour qui considère The ‘Burbs comme un « film culte », ce copieux coffret édité par Carlotta constitue le cadeau de Noël idéal. Enrichi de nombreux suppléments (interviews des acteurs et de Joe Dante, copie de travail, commentaires du réalisateur, et un volumineux ouvrage collectif dirigé par Frank Lafond), cet ensemble présente toutefois la limite d’être aussi peu analytique que prolixe en anecdotes et détails de fabrication. C’est que la teneur même des suppléments découle de ce constat étonnant, partagé par Frank Lafond (également l’auteur de préface du film) et Joe Dante : The ‘Burbs est devenu au fil des années un objet de fétiche adulé pour sa surface séduisante – ses répliques bien senties, ses personnages de cartoon, son sens du pastiche.
Or le film, plutôt mineur au sein de la filmographie de Joe Dante, offre toutefois un éclairage beaucoup plus profond sur le maniérisme joueur du réalisateur. The ‘Burbs s’ouvre ainsi sur le logo d’Universal (la Terre vue depuis l’espace) qui, tout d’un coup, s’anime avant qu’un morphing ne creuse la surface du globe pour nous emmener jusqu’à une petite rue banlieusarde tout à fait archétypale. De la marque, image a priori sans profondeur, naît ainsi un monde qui semble lui-même figé dans un réseau d’imageries : imagerie de la banlieue et de ses pavillons uniformisés, imagerie du film d’épouvante, que convoque allégrement Dante, et imagerie du cinéma lui-même – le film multiplie les pastiches d’effets (montage singeant les westerns de Sergio Leone, zooms outranciers lors de la découverte d’un os humain, etc.). Le récit se présente d’ailleurs comme un décalque comique de Fenêtre sur cour, avec son héros désœuvré qui se retrouve à espionner ses voisins pour y chercher le frisson de la fiction. Ray (Tom Hanks), observateur d’abord sceptique, est dans cette quête accompagné de Art, son voisin glouton et spectateur gourmand, ainsi que de Mark (Bruce Dern), qui est déjà un personnage de cinéma (manifestement un vétéran du Vietnam, prêt à ressortir sa panoplie du parfait soldat).
Creuser l’image
Leur but ? Creuser, à leur tour, une image : celle de la maison inquiétante qui borde le pavillon de Ray, et sur laquelle se cristallise les fantasmes de la petite communauté. Que renferme la mystérieuse demeure ? Ce sont les profondeurs (le sol du jardin, la cave) qui intriguent plus particulièrement les trois compères, persuadés que l’image est à la fois ce qu’elle paraît être (un théâtre d’opération on ne peut plus louche) et toute autre chose, puisque la vérité à leurs yeux ne peut se trouver à la surface. Ce rapport à l’image dépasse toutefois le cadre d’une opposition entre les voisins « normaux » et l’intrigante famille Klopek, qui occupe la bâtisse effrayante, pour contaminer l’ensemble de l’espace de la fiction. Dans une scène de cauchemar où se télescopent les différents régimes d’imageries du film, Ray se retrouve ainsi sur le grill d’un barbecue (soit un rituel banlieusard), torturé par une congrégation satanique (soit une image de film d’horreur). La caméra zoome alors sur Ray, paniqué, jusqu’à ce que son visage se fonde dans un raccord avec un poste de télévision. Au mauvais rêve se succède alors un spot publicitaire que Dante, par un mouvement panoramique, relie au banlieusard végétant dans son lit, épuisé après cette nuit agitée. Avalé par le cauchemar, Ray est ensuite recraché, hagard, par une contre-image : « J’ai toujours voulu avoir un voisin comme toi » chantonne une voix enjouée, alors que Ray s’extirpe difficilement de son lit. Cet enchaînement de scènes toutes deux nées de la télévision (avant de s’endormir, Ray tombe sur des rediffusions de L’Exorciste et de Massacre à la tronçonneuse 2) traduit bien l’horizon postmoderne du film autant qu’il éclaire sur l’habilité de Dante à faire du pastiche un horizon d’action.
Du morphing qui ouvre le film à ce raccord, c’est l’idée même d’un mouvement transversal dans l’image qui anime l’écriture de Joe Dante. L’image est un corps que l’on parcourt (L’Aventure intérieure), un dédale que l’on traverse (la folle course poursuite à travers les grands tableaux du Louvre dans Les Looney Tunes passent à l’action), un puits sans fond d’où émergent nos peurs les plus intimes (The Hole). The ‘Burbs offre en cela un terrain de jeu idéal pour le cinéaste : la banlieue, espace normatif par excellence, se voit devenir le théâtre d’un dérèglement des différentes imageries qui se contaminent les unes les autres. Le film se présente dès lors comme le prélude au carnaval postmoderne de Gremlins 2, où le chaos naît de l’accumulation de scènes pastichées en une grande farandole monstrueuse et dégénérée.