La couverture de Joe Dante : l’art du je(u) de Frank Lafond tente, en deux images, de résumer l’univers du réalisateur. Le Mogwai de Gremlins, et John Goodman : une bestiole rentrée au panthéon du cinéma et un acteur renommé. Des références donc, pour un cinéaste qui en est pétri. Discret et passionnant, Joe Dante mériterait d’être mieux connu. Relevant élégamment le défi, Frank Lafond livre ici ce qui deviendra, à n’en pas douter, un ouvrage de référence sur le cinéaste américain.
La bibliographie de Frank Lafond nous apprend, en préambule, qu’il a déjà produit des études sur Jacques Tourneur, George Romero et Georges Franju. Des réalisateurs qui ont en commun avec Joe Dante d’être aux bords des limbes de l’histoire cinématographique ; de ceux qui ont flirté avec le « système » sans pour autant y être asservis. Des auteurs dont la carrière oscille parfois entre le meilleur, le plus reconnu, et le moins bon.
Mais, ô surprise, Frank Lafond n’a que faire de la qualité d’un film : son regard est celui d’un érudit, doté d’une culture appréciable, et qui sait considérer une œuvre dans sa globalité par le truchement de cette culture. On réserve habituellement un tel regard à des cinéastes de l’encyclopédie (Scorsese, De Palma…) – Joe Dante ? Ce réalisateur mineur, auteur de deux grands succès « spielbergiens » estampillés années 1980, et dont le reste de la filmographie n’est connu que de quelques initiés ? Il manque certainement à Dante de se voir consacrer une étude qui sache proposer un regard pertinent sur son œuvre, tâche dont Frank Lafond s’acquitte avec brio.
Avec une fluidité exemplaire, l’auteur dégage des lignes structurelles dans la filmographie de Joe Dante. L’accroche thématique est attendue : il s’agit de la place de l’intertextualité, rebaptisée « allusionisme ». Ce joli mot évoque bien sûr la richesse intertextuelle du cinéma de Joe Dante. Il capture également une idée essentielle, commune au cinéaste et à Frank Lafond : l’amour de l’art de l’illusion – quand bien même le public ne serait pas dupe des artifices employés. Plus inattendus sont les développements sur la place des années 1950 et sur le discours politique de Dante, tout aussi solidement argumentés.
L’érudition de Frank Lafond se manifeste avec régularité au fil de cette étude fleuve, preuve en creux de la profondeur de l’œuvre de Joe Dante. Malgré tout, et fidèle en cela au réalisateur, Frank Lafond construit son essai comme une lecture ludique, précise et argumentée, mais qui respire la gourmandise cinéphile.
Capable d’identifier des lignes thématiques claires et de les remettre en contexte, l’auteur prouve à quel point sa vision de Joe Dante est transversale. Convaincant, il impose sa définition du cinéaste comme un artiste passionnant, fils des fifties à la vision du monde façonnée par le cinéma. À lire ce livre, on se prend à vouloir revoir les films de Joe Dante, découvrir ses étonnant inédits. On a aussi, et surtout, le sentiment d’être en présence d’un ouvrage aussi accessible que passionnant, essentiel dans tous les sens du terme à la compréhension et à l’amour du cinéma.