Impossible de dissocier Hurlements de l’inoubliable scène de transformation d’un loup-garou qui constitue son point d’orgue. Par sa construction, la séquence ne se distingue pourtant pas a priori de la longue tradition des scènes du genre, en ce qu’elle repose sur une succession de déploiements anatomiques cadrés en gros plans : les ongles se transforment en griffes, les canines s’aiguisent en crocs acérés… rien, en somme, qui n’ait déjà été filmé. Le travail de maquillage du génial Rob Bottin sidère, mais le trouble que provoque la séquence ne tient pas uniquement à cette réussite. C’est le choix de revenir régulièrement sur le regard de la créature qui dérange, à cette expression révélant son plaisir d’être scrutée sous toutes les coutures. Au-delà des fantastiques vignettes horrifiques qu’elle déploie, la séquence frappe encore aujourd’hui par cette mise en scène de la jouissance d’une monstruosité désirée. Car la scène est ponctuée de contrechamps soulignant le caractère proprement spectaculaire de cette métamorphose, le personnage de Karen (Dee Wallace) faisant office de public. La contamination du mal par un simple regard : voilà sur quoi se fonde l’horreur dans Hurlements, pièce importante de la filmographie de Joe Dante.
Une faim de loup
Revoir Hurlements rappelle que le réalisateur n’a pas attendu Gremlins pour s’intéresser à la prédation inhérente à l’évolution de la société de consommation durant les années 1970-1980. Dans l’ouverture, Karen rencontre le premier loup-garou en pleine ville, à l’intérieur d’une salle de projection d’un sex-shop. La créature la force alors à ne pas détourner le regard d’un film pornographique, et plus particulièrement d’une scène de viol, avant de lui promettre de lui « donner quelque chose » et « d’illuminer son corps ». Consommer ces images reviendrait en d’autres termes à être contaminé (ou « augmenté », selon le point de vue des monstres). Ce ne sont plus les traditionnelles forces surnaturelles qui sont à l’origine de l’apparition de la bestialité, le rôle de la pleine lune étant à ce titre tourné en dérision. On se transforme chez Dante par un désir violent et incontrôlé de consommation destructrice – désir qui, poussé à son extrême, peut alors même conduire au viol et au meurtre. Une fois l’acte commis, le nouvel être monstrueux jouit alors de sa transgression. Libéré des obligations morales qui le contraignaient, il donne libre cours à ses instincts avant de rejoindre sa meute pour décupler son potentiel de destruction – et par là même son plaisir.
Le regard si particulier que Joe Dante porte sur ces trajectoires collectives fait clairement du récit une allégorie des années 1980. La paranoïa et la pornographie y sont présentées comme la matrice de produits de consommation, d’autant plus que ces derniers profitent de la diffusion des images à grande échelle sur les écrans. Même dénués d’apparence monstrueuse, ce sont bien des hommes médiatiques qui apparaissent comme responsables de ces nouvelles contagions : le docteur Waggner, un étrange thérapeute, expose ses théories sur les plateaux de télévision, quand un riche et ambitieux homme d’affaires inspiré par Donald Trump, propriétaire de médias, sévit dans Gremlins 2. La même lueur rouge brillant dans les yeux des loups-garous se retrouve dans le regard des techniciens qui écoutent le docteur Waggner vanter les mérites de la bestialité, tandis que le sex-shop dans lequel se déroule la première rencontre avec la bête baigne également dans une teinte écarlate. La diffusion des écrans domestiques joue justement un rôle central dans le plan des loups-garous de s’adapter à leur époque et de trouver de nouveaux terrains de chasse. Si Karen apparaît comme une victime nécessaire à la réalisation de leur projet, c’est en raison de son statut de présentatrice de show télévisé, figure majeure en même temps que proie d’un nouveau système qui a fait des pulsions bestiales son fonds de commerce.

Pierre et le loup
Dans Hurlements, les loups-garous sont tout d’abord présentés comme des tueurs en série : impossible de ne pas y voir une filiation avec l’incontournable Halloween, qui a posé les bases de l’imaginaire horrifique de cette nouvelle menace deux ans plus tôt. Il faut cependant noter une variation fondamentale : si la victoire contre le mal dans le film de John Carpenter consistait essentiellement à survivre, Karen se retrouve quant à elle confrontée au risque d’être contaminée par la bestialité. Après son premier contact avec le tueur (volontaire, puisqu’il s’agit de le rencontrer pour les besoins d’une enquête télévisuelle), la journaliste revit en boucle la scène dans ses rêves, au point d’accepter de suivre une cure dans une colonie en pleine campagne. Ce qui s’avère un piège organisé par les loups-garous révèle à quel point leur projet passe par la conversion de Karen. La jeune femme résiste pourtant aux tentations qui devraient provoquer sa transformation, mais les règles changent. Les loups poursuivent Karen jusqu’à l’encercler dans une voiture. Impuissante devant les expressions enragées des bêtes derrière la surface des vitres, la jeune femme ne peut plus rien pour empêcher les écrans au travers desquels elles la convoitent de se briser. Au moment même où Karen se croit sauvée, la fragile séparation entre la jeune femme et ses prédateurs finit par céder, aboutissant à la morsure tant redoutée.
C’est dans l’idée de se transformer en direct que Karen se retrouve plus tard sur un plateau de télévision pour la scène finale du film. Devenue loup-garou alors qu’elle n’a pas cédé consciemment à la transgression, elle décide de révéler la terrible vérité du mal face à la caméra. La présentatrice évoque alors l’émergence d’un choix : celui de ne pas ouvrir la voie à une bestialité intérieure dont elle s’apprête à prouver l’existence. Cet ultime sursaut idéaliste donne lieu à un dénouement parmi les plus troublants de la filmographie de Dante, alors que la jeune femme pousse son hurlement en direct. Ce cri ne ressemble en rien aux précédents : il s’agit cette fois d’une plainte. C’est qu’il est déjà trop tard, et les contrechamps sur les spectateurs du show entérinent l’idée d’une contamination de la société toute entière. Eux-mêmes prédateurs du quotidien, ils se révèlent tout au plus surpris, voire indifférents face à l’image de la bestialité révélée. Après que Karen a été abattue en direct, chacun s’en retourne simplement à sa propre voracité. Au son des publicités et tandis que les hamburgers se préparent à la chaîne, la louve installée au comptoir d’un bar illuminé de rouge peut arborer sans crainte son beau sourire carnassier.