La chef opératrice de Werner Schroeter réalise un portrait in extremis du grand réalisateur. Un documentaire intéressant et délicat bien qu’un peu classique, excellente introduction aux néophytes et témoignage sur Schroeter au travail. Ce film inédit, projeté une seule fois au festival Chéries Chéris en 2011, sera diffusé sur Pink TV le 27 avril prochain à 22h.
Après une longue période d’invisibilité en France, où Schroeter avait été quelque peu été éclipsé par son cousin d’Allemagne Fassbinder, une rétrospective au Centre George Pompidou en décembre 2010, l’édition DVD de quelques-uns de ses films et un petit livre chez Capricci ont permis à de nombreux spectateurs de découvrir son cinéma singulier et ardent, qui n’a, jusqu’à aujourd’hui, pas de véritable successeur.
Sur la personne de Schroeter, peu de choses ont été dites et montrées, sinon dans le livre passionnant de Gérard Courant, datant de 1982 (lors d’une rétrospective au Goethe Institut). Mondo Lux offre un portrait composite du cinéaste depuis son tournage de Deux jusqu’à une exposition de photographie du cinéaste en 2009 dans une galerie allemande, en passant par la remise du Lion d’Or spécial à la Mostra de Venise en 2008 pour Nuit de chien, le doublage de ce dernier et des entretiens avec (entre autres) Isabelle Huppert, Ingrid Caven, Wim Wenders et Rosa von Praunheim.
Jouant sur des touches éparses, sans respecter la chronologie, le documentaire déploie un ensemble de scènes : Schroeter au travail (en tournage, doublage, direction d’acteurs pour une mise en scène d’Électre), avec des amis (Rosa von Praunheim, belle scène d’intimité où les deux anciens compagnons discutent avec complicité et légèreté de sujets à la fois futiles et graves), évoquant sa vie, ou, en miroir, son évocation au passé par des proches.
Modestement, la réalisatrice essaie de montrer ces quelques scènes sans discours surplombant ni mise en scène particulière. C’est à la fois sa qualité et son défaut : d’un côté son film ne se met jamais en valeur, il ne parasite pas ce qui est montré, mais cette modestie le rend parfois un peu plat, lisse. Ses seuls véritables choix formels sont un découpage en chapitres thématiques, qui n’a d’autre intérêt que d’éviter la linéarité au profit d’un point de vue kaléidoscopique, et un final-hommage à Schroeter d’une minute, très émouvant, sous une musique d’Ingrid Caven. Si l’on regrette souvent que le film passe un peu rapidement sur tel extrait de film ou telle scène, qu’il n’emploie que peu d’intervenants et qu’il fasse l’impasse sur les films les moins connus du réalisateur, il a le mérite d’être extrêmement attentif à la personne physique de Schroeter. Tour à tour un peu empâté ou amaigri par la maladie, qui constitue un peu le sujet du film (ramassé sous les deux thèmes de la mort et de l’amour, sans cesses questionnés), Schroeter est très bien saisi. On voit l’élégance des gestes du cinéaste, son calme et sa douceur résolue lorsqu’il dirige ses acteurs, sa pudeur à évoquer Magdalena Montezuma ou l’humour qu’il partage avec Rosa von Praunheim. Mondo Lux constitue à ce titre un aperçu très intéressant du cinéaste, mais où l’affect est parfois un peu absent. On aurait attendu quelque chose de plus lyrique, de plus majestueux, voire baroque. Mais, étrangement, ce « classicisme », sorte de mise à plat, donne en retour aux extraits montrés une réelle force de fascination, comme si toute la structure du film ne servait que de socle à quelques apparitions, visions ou aperçus presque fantomatiques.
Un beau plan (à 58 min) montre Schroeter dirigeant deux actrices lors des répétitions d’Électre. La scène, hors champ, est reflétée dans un écran de télévision poli comme un miroir, tandis que l’on voit Schroeter accompagner, de mouvement de la main discret, le rythme intérieur de la scène : comme si une onde, une ligne de tension passait des comédiennes au metteur en scène, et les faisaient osciller d’un même mouvement. Ces mouvements ténus, gestes ou regards, semblent s’échapper, pour un observateur attentif, de la structure un peu lisse du film. Ces sortes de lignes de vie (comme celle que Von Praunheim montre à Schroeter) seront, pour un amoureux de Schroeter, une sorte de « supplément », charme ou punctum barthésien. Pour les autres, le contenu objectif du film, son studium (toujours au sens de Barthes) aura rempli sa fonction de témoignage d’un réel intérêt, avec des extraits de films et de pièces comme espace d’émotion et de vitalité, et un monde des vivants plus matériel.