La moitié de la salle qui fuit, d’autres qui sifflent ou rient : Werner Schroeter n’a pas manqué son but. En effet, Nuit de chien est un film qui interroge violemment l’individu et ses valeurs. Ossorio (Pascal Greggory) revient chercher sa compagne Clara à Santa Maria, petite république où règne le chaos à cause des incessants coups d’état et de la guérilla qui s’en suit depuis. Au fil de ses rencontres durant cette nuit infernale, nous allons parcourir avec lui un bout de son passé. Il aurait donc été un opposant militant, avant de perdre son combat contre ce régime facho-militaire.
C’est un monde noir et pessimiste qui se profile chez Schroeter. Même les valeurs et les institutions ne fournissent plus aucune garantie. Irene (Amira Casar), la maîtresse du chef opposant Barcala (Sami Frey) se fait violer par le chef de la police Morasan (Bruno Todeschini) dans la chapelle où il a installé ses équipes. Le crucifix en plan d’ensemble fait écho à sa souffrance et ne peut qu’assister impuissant à ce massacre. L’image revient à plusieurs reprises, sorte d’allégorie – pratique qui sied fort bien au lyrisme aussi bien visuel que musical de ce cinéaste – d’une compassion bafouée. Corps et objets, tout dans le cadre lugubre imaginé par Schroeter renvoie au nihilisme : ce qui semble être un grand palace de fonction ne vit que par ses lumières au milieu de la misère telle la résidence de Ceaușescu – on pense aussi aux dictatures sud-américaines –, les individus comme vidés de leur sens, ne répondent plus de rien. Une seule chose les motive, le pouvoir évidemment. Les uns après les autres, tous les anciens camarades politiques d’Ossorio changent de camp pour rejoindre l’ennemi Morasan. Conformément à la vision christique de Schroeter, les femmes restent ces figures virginales de pureté et de rédemption comme la quête de la passion d’Ossorio : Clara, symbole d’une purification à laquelle Ossorio n’aura finalement pas le droit. Condamné à mourir dans la misère et la froideur d’une ville fantôme.