Dracula de Francis Ford Coppola et Twilight I : Fascination de Catherine Hardwicke ne boxent pas dans la même catégorie, mais ils ont en commun d’envisager la figure du vampire sous un angle fondamentalement érotique. Plus encore, les deux films dessinent une réorganisation des rapports de séduction entre le vampire et celle qui, traditionnellement, constitue sa proie privilégiée : la vierge.
1. La bouche et l’œil
Après avoir échangé un premier regard, Bella (Kristen Stewart) et Edward (Robert Pattinson) se retrouvent côte à côte dans un cours de biologie. Au moment où la jeune fille aperçoit le vampire, ses cheveux volettent sous le souffle d’un ventilateur qui, dans le plan suivant, fait trembler une feuille que le poing d’Edward maintient sur la table. Saisi par la vision de Bella et l’odeur de l’adolescente que le ventilateur fait parvenir jusqu’à lui, le mort-vivant muselle fébrilement sa bouche de la main. Il regarde ensuite intensément Bella tout le long du cours et, un instant avant que la sonnerie ne retentisse, quitte hâtivement la salle. Il n’est bien sûr pas anodin que la séquence se déroule dans une classe de biologie et que, plus tard, les futurs amoureux échangent dans la même pièce leurs premiers mots autour d’un microscope qu’ils se passent tour à tour : le premier Twilight dépeint le bouillonnement hormonal de deux adolescents et la propagation chimique de leur désir. Au-delà du fait que toute l’action soit perçue du point de vue de l’héroïne, la séquence interpelle par la manière dont elle renverse le rapport de causalité qui, d’ordinaire, régit la circulation du désir entre le vampire et la vierge. C’est en effet normalement le vampire qui en premier lieu regarde, pour hypnotiser sa victime, et ensuite la vierge qui, conquise, cède à la fascination. On peut ici dresser un premier pont entre Twilight et Dracula : les deux films passent d’abord par l’ouverture d’une bouche, celle de la jeune fille, pour ensuite arriver au regard pénétrant du vampire. Dans le cas de Twilight, les actions de Bella (son regard initial dans le réfectoire et celui devant le ventilateur, où à chaque fois sa bouche s’entrouvre de désir) déteignent ainsi, dans les plans suivants, sur le regard que le vampire pose sur elle.
L’affaire est autrement plus complexe dans Dracula, mais une trajectoire analogue se noue toutefois entre la bouche et l’œil. Tout part d’un baiser, celui que donne Mina (Winona Ryder) à Jonathan (Keanu Reeves) dans l’intimité d’un jardin. L’étreinte se voit progressivement voilée par les plumes d’un paon, de sorte que l’ouverture induite par le baiser est redoublée par un ocelle qui, par le biais d’une surimpression, se confond avec l’extrémité d’un tunnel, dont surgit le train à bord duquel Jonathan voyage jusqu’en Transylvanie. Ce motif du trou, qui inscrit les raccords dans un horizon sexuel, est ensuite prolongé dans le halo bleuté qui creuse la carte tenue par le jeune homme. La carte elle-même, qui relie des points les uns aux autres par un enchevêtrement de courbes, nourrit l’idée de la propagation d’un désir tentaculaire, à l’intérieur d’un montage où les plans sont progressivement contaminés les uns par les autres. En contrechamp, les lignes et les inscriptions de la carte s’impriment d’ailleurs sur le visage de Jonathan, tel un présage de l’emprise que le comte exercera sur lui. Enfin, la séquence s’achève sur la lecture d’une missive de Dracula, dont les yeux bleus apparaissent dans le ciel rougi.
Le rapport figuratif qu’entretiennent la bouche et l’œil obéit, au-delà de la fluidité d’un découpage qui suit « une sorte de mouvement perpétuel », à une logique chromatique : il s’agit d’une rencontre entre le bleu et le rouge, selon une chaîne causale qui joue, là encore, la carte de la vampirisation. C’est tout d’abord du bleu (l’ocelle, mais aussi la robe de Mina) que le rouge apparaît (le ciel), avant que le bleu ne creuse un orifice dans le rouge (le halo de la carte et les yeux du comte), sur le mode de la morsure. Autrement dit, le baiser mortifère du vampire part originellement de la bouche de la vierge et constitue la matérialisation de son désir. Puisque l’œil et la bouche sont les deux pôles de cette circulation de l’énergie sexuelle, il est logique que le premier baiser/morsure (avorté) entre Dracula et Mina synthétise la trajectoire chromatique de la séquence préalablement décrite : le vert du jardin se retrouve dans l’émeraude de la robe de Mina et de son chapeau, les lunettes du Comte se substituent au bleu de l’ocelle et au halo de la carte, tandis qu’enfin le rouge du ciel laisse place aux yeux, injectés de sang, du vampire.

2. Le corps irradié
Twilight et Dracula partagent une autre spécificité dans leur approche de la sensualité du vampire : la lumière, théoriquement synonyme de désintégration pour le buveur de sang, participe ici de son érotisation. Le Dracula de Coppola est, de manière assez nette, un être projeté, comme en témoignent sa première apparition sous la lumière d’une lanterne, l’autonomie de son ombre par rapport à son corps ou encore le décor de sa rencontre avec Mina (un cinéma). Il apparaît dès lors comme un objet de fascination, qui renverse à nouveau le rapport de prédation qui d’ordinaire se noue entre le vampire et ses proies féminines. De fait, toute la trajectoire de la passion entre Mina et Dracula prend la forme d’un retournement, d’une part à l’échelle du récit (où s’organise un chassé-croisé amoureux entre Londres et les Carpates), et de l’autre dans la scène finale, où la jeune femme enfonce une épée plantée dans la poitrine de son amant pour le libérer de l’emprise des ténèbres. Outre cette pénétration/morsure inversée, la beauté de la scène tient à ce que les sentiments de Mina se matérialisent en un halo doré venant magnifier le visage bestial du comte damné, qui recouvre sa beauté d’antan.
Puritanisme oblige – tout l’enjeu pour les deux adolescents est de résister à leurs pulsions sexuelles –, Twilight ne va pas aussi loin dans l’érotisme et la concrétisation de la sexualité que Dracula, mais il fait également de l’irradiation du vampire l’objet d’un regard féminin désirant. Dans les hauteurs des forêts qui surplombent la petite bourgade de Forks, Edward guide Bella jusqu’à une percée du soleil dans la canopée. En révélant son corps à la lumière solaire, le vampire s’expose au regard de Bella en même temps qu’il se place au centre d’un trou d’où la jeune fille peut admirer sa peau luisante, brillant comme un « diamant ». L’attention portée à la poitrine illuminée du garçon opère alors comme un contrechamp de ce gros plan, archétypal dans les films de vampire, sur le cou des jeunes filles, qui figure la soif de sang et l’appétit sexuel du prédateur. Dans Dracula comme dans Twilight, c’est au contraire la vierge qui initie la parade sexuelle, et le vampire qui devient l’objet de son attention.