Dans Martin, la série de meurtres et de viols que commet le personnage principal (John Amplass), persuadé d’être un nosferatu âgé de 84 ans, est ponctuée de visions en noir et blanc qui évoquent le souvenir des films de vampire gothiques des années 1930. Lors d’une scène d’agression située au mitan du film, ces images issues d’un cinéma révolu prennent la forme d’un parcours qui mène l’assassin à sa victime, de sorte que la distinction entre tueur fou et monstre fantastique s’atténue au point de devenir indiscernable.
1) La séquence s’ouvre avec l’apparition de l’ombre de Martin, projetée sur la maison de sa future victime (Sara Venable). L’image convoque ici tout un imaginaire horrifique issu du fantastique et de l’expressionnisme qui implique que les vampires sont des créatures fantomatiques et douées d’ubiquité. Le plan suivant vient cependant contrarier cette interprétation, en cela que l’effraction commise par le jeune homme passe par l’utilisation d’une télécommande électronique achetée quelques plans plus tôt.
2) C’est que, tout vampire qu’il croit être, Martin ne possède aucun pouvoir surnaturel. Un montage alterné, composé d’images réelles et mentales, illustre aussitôt cette dichotomie entre la mythologie classique du vampire et la réalité glauque des crimes commis par l’adolescent. Le redoublement quasi exact des premiers plans par les deux suivants (une femme derrière sa fenêtre, suivi du surgissement de Martin depuis la gauche de l’écran) implique ici la mise en concurrence d’une image « réelle » et de sa déformation imaginaire, de sorte que les visions du jeune homme apparaissent comme de simples décrochages, inutiles du point de vue de la narration.
3) Une fois entré dans la maison, Martin prépare la seringue de somnifère qui lui permettra de violer et de tuer sa victime. L’aiguille renvoie ici par métonymie aux canines surdéveloppées des vampires, dont le jeune homme est dépourvu. De même que la morsure pénètre la peau afin de contaminer, la seringue inocule un liquide qui rend ses proies suffisamment dociles pour participer à ses mises en scène macabres. L’analogie sera explicitée plus tard dans la séquence, par un plan où l’on voit Martin tenir sa seringue entre ses dents.
4) À partir de cette rencontre entre imaginaire vampirique et modus operandi criminel, le montage cesse d’opposer réalité et fiction, mais les inclut dans une dynamique de prolongement : d’abord par une série de raccords qui font commencer une action dans un régime d’image pour la terminer dans un autre (voir illustration ci-dessous) ; ensuite, par des jeux de champ-contrechamp qui font se répondre hallucinations et actions réelles. Désormais, la distinction formelle permise par l’opposition noir et blanc / couleur « favorise le jeu des relations mentales et des situations sensori-motrices qui se développent » autour de la question : Martin est-il ou non un vampire ?
5) Le montage alterné entre hallucination et image réelle s’interrompt lorsque Martin entre dans la chambre de sa victime : au lieu de la jeune femme allongée languissamment qu’il s’attendait à trouver, la femme au foyer qu’il veut assassiner est au lit avec son amant. Si la disjonction entre le désir de l’adolescent et la réalité des faits renvoie ici à son impuissance sexuelle, elle permet surtout d’actualiser la transformation du jeune homme en un véritable « vampire ». Après avoir attaqué une première fois le couple, le reste de la séquence consiste en un jeu du chat et de la souris dans lequel Martin est devenu littéralement impossible à localiser et se voit doté du don d’ubiquité qui lui faisait défaut au début de la scène. Vampirisé par les images d’un cinéma d’horreur qui conditionnent son imaginaire, Martin aura donc suivi le chemin qu’elles ont tracé afin de devenir, à son tour, la créature qu’il se rêve être. Cette croyance dans la collaboration des images et dans l’indiscernabilité entre monstre et être humain fait de Martin le film le plus radical de la carrière de George Romero.