Une rétrospective intégrale au centre Pompidou dont toutes les séances affichent complet, des numéros spéciaux de L’Avant-Scène cinéma et Vertigo, une première monographie française écrite par Jacques Rancière : Béla Tarr est indéniablement la star de cette fin d’année. Depuis que le cinéaste hongrois a annoncé la fin de sa carrière, les hommages et projections pleuvent. Suivie par des spectateurs fidèles de plus en plus ombreux depuis la découverte en France des Harmonies Werckmeister en 2003, l’œuvre fascine autant qu’il peut agacer. À la recherche toujours plus radicale de la description du geste dépouillé et d’un temps du film qui s’approcherait du temps réel, on peut reprocher un formalisme excessif, jugé froid et démonstratif.
Même si c’est devenu un cliché de le dire, il ne faut pas être avare de son temps pour se plonger dans les films-fleuves de Béla Tarr. Au-delà de cette dimension qui incite certains à se frotter au « marathon » Satantango, comme elle peut rebuter, la rétrospective permettra de découvrir la dimension sociale, véritable fil conducteur de l’œuvre. Proche du Béla Balázs Studio dans les premiers temps, Tarr s’intéresse tout d’abord aux problèmes de logement des ouvriers ou des employés. Puis, avec Rapports préfabriqués (1982) il se centre sur les ambitions d’un couple modeste. Entre 1980 et 1985, ses films seront produits au sein des studios Tarsulas, qu’il a co-fondés avec d’autres cinéastes désireux, comme lui, d’aller contre le cinéma de l’État hongrois socialiste d’alors. Au-delà des premiers films aux ambitions ouvertement sociales, c’est tout un défilé de marginaux, d’asociaux et de laissés pour compte qui constitue le cinéma de Béla Tarr : l’infirmier violoniste instable et alcoolique n’est que le premier d’une longue lignée d’outsiders. Le vieil homme expulsé de son foyer dans Hotel Magnezit, les SDF de Budapest qui jouent dans Les Harmonies Werckmeister, mais aussi la longue procession d’hommes et de femmes que la caméra balaie d’un travelling tandis qu’ils attendent d’être servis à la Soupe populaire dans Prologue (2004) : bien que plus disséminée dans les films récents, la volonté de Béla Tarr est nettement de ne pas faire seulement un cinéma du temps, mais aussi un cinéma ancré dans son époque.