Entre le succès de son premier film, Ce jour-là sur la plage (1983), et de son dernier, Yi-Yi, primé à Cannes en 2000, c’est peu de dire qu’Edward Yang a connu une diffusion plus que limitée de son œuvre. La Cinémathèque française répare cet affront en projetant les huit films du cinéaste taïwanais, ainsi que les dix minutes de The Wind, projet initié dans son exil américain avec Jackie Chan. Cinéaste de la relation qui se noue ou se distend, Yang représente dans tous ses films des groupes de personnages, et surtout, les dynamiques à l’œuvre entre ceux-ci. Interactions entre les personnages et la ville, la capitale taïwanaise au premier chef, notamment dans Taipei Story (1985) ; rapports de violence ou d’incompréhension entre hommes et femmes (Mah Jong), rapports au sein d’une bande (A Brighter Summer Day), relations entre une génération de pères courbés sous le poids de l’occupation chinoise et leurs fils pris dans une révolte vaine et désordonnée.
Si la question du lien est si importante pour le cinéaste, c’est qu’elle est centrale dans la culture taïwanaise, soumise successivement aux occupations chinoise et japonaise, mais très perméable également à la culture populaire américaine. Pris entre toutes ces influences et le respect de traditions très ancrées dans la société insulaire, les personnages de Yang tergiversent, se cherchent.
À l’image de ses personnages qui peinent à se fixer sur l’île, Edward Yang, né à Shanghai, parti faire des études d’ingénieur en Californie, retourna finir sa vie aux États-Unis. Et ce, vingt ans après avoir signé avec ses amis le « Manifeste du cinéma taïwanais », dont Yang avoua qu’il signait en fait « le début de la fin ». Se revendiquant comme l’acte de naissance d’un cinéma nouveau, ce pamphlet entendait lutter contre les difficultés d’un pays cadenassé par une censure lui interdisant de raconter sa propre histoire, contre une industrie cinématographique tournée exclusivement vers le divertissement, contre, enfin, une critique aveugle. Mais ce qui, finalement, porte le plus préjudice au cinéma taïwanais, lequel vit internationalement à travers les films de ses éminents représentants (Hou Hsiao-hsien, Tsai Ming-liang ou Leon Dai), c’est surtout son propre public qui, depuis toujours, lui fait défaut.