Un Guy Maddin affable et espiègle nous a accordé un long entretien à l’occasion de la sortie d’Ulysse souviens-toi, son nouveau film. L’opportunité pour nous d’évoquer avec lui ses différents projets, et la manière dont il aborde le passage au numérique.
Vous êtes actuellement à Paris, dans le cadre du Nouveau Festival au Centre Pompidou, afin de réaliser des courts-métrages pour un projet intitulé « Spiritismes ». Pouvez-vous nous en parler un peu ?
Oui, c’est un gros projet. Cette année, je vais tourner environ 100 films en une centaine de jours dans pas moins de quatre pays différents. Je vais tourner trois semaines au Centre Pompidou en public, et ce sera également retransmis en direct sur internet. Ce projet « Spiritismes » a pour but de réveiller les âmes de vieux films perdus, avec une troupe d’acteurs qui joueront les médiums. Ces films seront disponibles par la suite sur internet. Ensuite, j’irai au MOMA à New-York pour tourner durant 48 jours, puis deux mois à la Biennale de São Paulo, et je finirai à Winnipeg, ce qui correspondra avec les 70 ans de la Winnipeg Art Gallery. Lorsque ces différents tournages seront terminés, je vais monter tous les films ensemble et les mettre en ligne sur le site internet du projet « Spiritismes ». L’idée étant que les gens qui visiteront ce site puissent être eux-mêmes les médiums qui réveilleront ces œuvres, et de créer un ensemble de courts-métrages qui seront « des films dans le film dans le film ». Pour moi, c’est une nouvelle expérience car je n’ai jamais tourné en public, et puis c’est un mélange étrange entre le cinéma, l’univers des musées et internet. Je me sens un peu comme une sorte de pionnier car, jusqu’à présent, je n’avais été qu’un « faux pionnier » avec mes films, qui sont des hommages à l’ère du muet et à la grammaire cinématographique qui y est rattachée. C’est un peu effrayant, mais excitant.
D’ailleurs, en 2011, vous avez participé à une exposition à La Maison Rouge à Paris sur Winnipeg, où vous aviez réalisé une œuvre intitulée « Hauntings ». Vous sentez-vous proche, par votre travail et votre sensibilité, à la communauté d’artistes winnipegoise ? Êtes-vous influencé par leur travail ?
Pas à mes débuts. Mais à mesure que je devenais un peu plus célèbre dans ma ville, j’ai fini par rencontrer un bon nombre de ces artistes. Pour Ulysse souviens-toi, j’ai impliqué ces artistes qui ont participé à l’exposition de La Maison Rouge dans le processus créatif du film, car je voulais qu’il soit plus inspiré par des images que par des mots. Je les ai réunis chez moi, j’ai sorti des bouteilles de whisky et de vin, je leur ai montré des albums photos vieux de cent ans et d‘anciens magazines pornographiques, j’ai mis de la musique, et nous avons fait une collage party. Certaines ont duré cinq heures, d’autres cinq jours, et j’ai réitéré cette expérience à Oakland, New York et Toronto où je réunissais à chaque fois des artistes du coin. Des fois, je lançais une proposition, parfois juste un mot, comme « maison », et je les laissais travailler quelques heures là-dessus. Où je disais par exemple « chaise électrique », et comme il y avait souvent ces magazines pornographiques dans le corpus de documents que j’avais avec moi, les deux idées ont commencé à se mélanger. Je faisais aussi des suggestions à propos de rêves que je faisais sur mon enfance. Je voulais amener tranquillement ces artistes, qui avaient un œil bien plus acéré que moi sur ces éléments, à créer des images que je pourrais réutiliser dans mes films. J’ai donc eu accès, grâce à eux, à des milliers de collages réalisés pendant ces « fêtes », et finalement j’en ai gardé une centaine pour écrire Ulysse. Donc c’était vraiment intéressant et sympathique d’échanger avec ces artistes, même si le fait de réaliser des collages implique de ne pas tellement parler, c’était presque comme de la méditation… avec beaucoup plus d’alcool ! Mais le fait d’être silencieux est paradoxalement très confortable, on accède à une autre manière de se connaître, un peu comme avec un chien dans le sens où l’on n’a pas forcément besoin de mots pour se comprendre, mais seulement d’un regard. J’ai donc beaucoup de respect pour leur travail, c’était très généreux de leur part de m’accorder un peu de leur temps et de se confronter à ce matériau informe que je leur proposais. Et puis l’exposition à La Maison Rouge leur a permis de gagner un peu d’argent grâce à cela.

La genèse de ce film vient donc en partie de ces collages, mais aussi de la mythologie grecque, de l’Odyssée d’Homère. Pourquoi vous êtes-vous intéressé à cette histoire ?
Je faisais à l’époque des rêves sur l’architecture où je me promenais dans une maison, sans savoir si c’était celle de mon enfance ou pas, mais je m’y sentais bien, et en même temps c’était assez triste. C’était un sentiment abstrait, comme si cette maison était un lieu de joie infinie et à la fois de tristesse incommensurable. Parfois, je me mettais à pleurer dans ces rêves, c’était assez puissant mais tellement abstrait que c’est très dur de les décrire. J’ai alors commencé à réfléchir à l’idée d’un film qui prendrait place dans une maison, où il y aurait beaucoup de détails et d’évènements qui s’y dérouleraient. Mais je voulais aussi que ce film soit divertissant, alors j’ai pensé m’inspirer d’une histoire préexistante, une pièce d’Heinrich von Kleist intitulée Penthésilée, où les armées grecques et troyennes s’affrontent. Puis une armée d’Amazones débarque et elles se mettent à massacrer tout le monde ! (rires) Elles se moquent de savoir si ce sont des Grecs ou des Troyens, elles en ont juste marre des hommes ! Et puis Penthésilée, la reine des amazones, tombe amoureuse d’Achille, et là ils ne savent plus s’ils doivent s’entretuer ou faire l’amour, ils finissent d’ailleurs un peu par faire les deux, et ensuite tout le monde continue à s’entretuer, car Kleist est une sorte d’auteur un peu sauvage et vicieux. Bref, c’est un film qui mériterait d’être fait, c’est un projet qui quelque part me hante… Et donc je me suis rendu compte que cela me plaisait de reprendre la structure de cette histoire, et de l’amener à se dérouler dans une maison, en transposant tout cela avec un récit où deux gangs tentent de s’entretuer. Mais finalement, j’ai compris que je n’étais pas très à l’aise, ni très familier avec les histoires un peu politiques sur l’affrontement des genres masculins et féminins, en tout cas cela ne m’obsède pas et je n’en rêve jamais. Puis un jour, alors que je parcourais un résumé Wikipédia de l’Odyssée, avec un grand sentiment de honte de ne l’avoir jamais lu, je me suis dit que c’était une structure narrative parfaite pour mon film. Il y avait là-dedans des sujets qui me touchaient plus : un père qui a délaissé son fils et sa femme pendant 19 ans, un très mauvais père qui a passé une partie de son temps à coucher avec une nymphe nommé Calypso sur une île, et qui subitement décide de rentrer à la maison. On ne sait pas si c’est son fils qui rêve de ce retour, si ce père est véritablement un héros de guerre, et cela m’a beaucoup rappelé les rêves que je faisais quand mon père est mort. Et donc je me suis dit que mon Odyssée, au lieu de figurer une traversée des mers, serait le parcours d’Ulysse dans une maison, de la porte de derrière jusqu’à la chambre maritale. Ce serait la réunification d’une famille, la fermeture d’un épisode traumatique, même si je ne suis pas sûr que cela soit possible dans la réalité. Et puis l’idée d’en faire un gangster me paraissait aussi enfantin que de vouloir en faire un héros de guerre. Donc je dois avouer que cette histoire d’Homère ne m’a pas obsédée pendant des années, mais j’étais impressionné par le fait que mille ans après elle puisse résonner aussi juste, par exemple dans le rapport que j’avais à la mort de mon père.
Saviez-vous que dans l’Illiade, Ulysse tente de se faire passer pour un fou afin de ne pas faire la guerre ? C’est un peu le cas aussi avec votre Ulysse, qui ne veut pas voir la vérité en face…
Ça, ce serait plutôt un truc que mon père aurait fait ! Mais vous savez, c’est très rafraichissant de lire ces anciens textes. Il y a un certain temps, je me suis mis à lire Euripide et je pensais bêtement que ce serait aussi intéressant que de parcourir l’annuaire, mais c’était véritablement excitant. C’était comme regarder des telenovelas (feuilletons) mexicaines ! Ce sont comme des soap opéra complètement fous, où Électre veut que son frère tue leur mère sous je ne sais quel prétexte. À l’époque, je venais de rompre avec une fille qui était l’incarnation moderne d’Électre : elle avait des problèmes avec sa famille, elle détestait sa mère, elle était aussi impulsive et belliqueuse qu’elle et à un moment donné je me suis dit « Waouh, ça a été écrit il y a des milliers d’années et je viens juste de vivre la même chose il y a un mois !» Bref, tout ça pour dire que, si je le voulais, je pourrais revisiter la littérature grecque ancienne jusqu’à la fin de ma carrière, tout en y ajoutant des éléments personnels. Et puis ces livres sont tellement fous, les personnages n’ont véritablement aucune dignité, que c’est quelque part rassurant de voir que vous êtes à peu près normal par rapport à eux. Ils vous permettent aussi de composer avec la part d’horreur qu’il y a en chacun de nous, c’est presque un plaisir masochiste de réaliser que vous aussi vous pouvez être parfois à ce point tordu.
Il y a donc cette part d’inspiration grecque dans Ulysse souviens-toi, mais aussi un peu de film de fantômes, de film de gangsters. C’était clair pour vous dès l’écriture du projet ?
Dès le début, je voulais faire un film hybride. Depuis des années, les gens me disent que mes films sont presque impossibles à classer, ce que je prends généralement pour un compliment, et puis je me suis rendu compte que c’était surtout les distributeurs de mes films qui me disaient cela car ils avaient du mal à les vendre ! On me disait alors : « Fais un film de genre !» J’avais déjà fait Dracula à l’époque, mais c’était un peu comme un ballet, donc ça rendait le genre moins identifiable. Mais le film a tout de même bien marché car il n’était censé que passer un soir à la télévision, et il est finalement sorti dans plusieurs pays au cinéma. J’ai pensé que c’était grâce à son aspect « film de genre », les gens savaient un peu plus à quoi s’attendre. Je ne sais pas si les gens s’intéresseront à un film qui mêle fantômes et gangsters, mais pourquoi pas ? À ma connaissance, cela n’a jamais été tenté. J’ai été amusé de voir que l’année dernière on mélangeait dans un film les cow-boys et les extraterrestres (Cowboys et Envahisseurs), alors pourquoi pas des gangsters et des fantômes ? Cet aspect « film de genre » est un peu la peau du film, et le cœur, c’est la tragédie grecque.
C’est amusant de vous entendre dire que vous souhaitiez faire un film de genre afin qu’il soit plus identifiable par le public, alors que, selon moi, vous travaillez dans Ulysse contre la notion de continuité narrative.
Hé oui, c’est ce qui est arrivé. (rires) J’avais pas mal d’idées différentes pour ce film, et pourtant je ne voulais pas qu’il soit trop long. J’aurais pu faire une version de plus pour le scénario, afin que l’écriture soit plus conventionnelle, mais cela m’allait très bien que tout ne soit pas verrouillé. C’était vraiment les sentiments et les textures qui m’importaient. Vous savez, je ne veux pas être trop efficace dans mon métier. Je veux continuer à faire les choses différemment, suivre mon instinct et en payer le prix.
Oui, vous ne voulez pas faire votre chef‑d’œuvre trop tôt.
Exactement ! J’ai vraiment de la peine pour les réalisateurs qui tombent progressivement dans l’oubli. William Friedkin, par exemple, je suis content de voir qu’il se remet à faire des films. De toute façon, j’ai l’impression de m’améliorer à chaque film, de mieux comprendre pourquoi je fais les choses. Ce serait horrible pour moi de sentir que je perds la main, qu’il y a de moins en moins de gens qui viennent voir mes films, et d’être obligé de m’accrocher à cela avec mes ongles tout en glissant progressivement vers la tombe. Sur Ulysse, je me suis senti à l’aise comme jamais avec la caméra, et même si le parcours dramatique du film n’est pas aussi clair que dans Winnipeg mon amour, ce n’était pas destiné à l’être de toute façon, je pense que je continue à apprendre des choses. Et puis je vais maintenant me lancer dans ce projet « Spiritismes », quelque chose qui n’a encore jamais été fait. Ah, c’est horrible, j’ai l’impression de me vanter. Disons en tout cas que c’est bon de se lever le matin avec la peur au ventre plutôt que rongé par l’ennui !
C’est d’ailleurs la première fois que vous tourniez en numérique.
Oui, ça m’a fait un peu peur au début, mais je me suis vite rassuré parce que, contrairement à ce que je dis, je n’aime pas avoir peur tout le temps non plus. Je pensais qu’il y avait une grande différence entre écrire un film pour le tourner en pellicule et faire un scénario pour tourner en numérique, mais en vérité, ce n’est pas si éloigné que cela. À mon avis, le débat sur le passage au numérique est en train de s’essouffler.

Pour autant, cela a‑t-il changé quelque chose pour vous ? La pellicule et ses imperfections sont tout de même une véritable composante de vos films.
Oui, c’est vrai qu’il y a moins d’imprévus, alors que j’avais pris pour habitude de m’en nourrir durant le processus créatif. Malheureusement, je ne sais pas trop encore comment provoquer des « accidents digitaux », mais j’y travaille. Le grand confort, avec le numérique, c’est que j’ai enfin pu voir ce que je tournais dans la foulée, sans avoir à attendre anxieusement que le laboratoire développe la pellicule. J’avais déjà l’habitude de tourner vite, maintenant je peux le faire encore plus rapidement. Nous faisions des journées de sept heures sur Ulysse, et au bout d’environ quinze jours le tournage était fini, donc il y avait un rapport plus humain et moins épuisant au travail. Bon, le problème était que Jason Patric m’emmenait boire des verres tous les soirs et finalement je dormais assez peu, ou je me réveillais avec la gueule de bois, mais à part cela tout allait bien. Peut-être avions-nous trop de temps libre ? Par rapport à ce que vous disiez à propos de la texture de l’image dans mes films, j’ai voulu ici faire le plongeon total dans le numérique. J’aurais pu retravailler l’image pour qu’elle ressemble à celle d’un tournage en pellicule 16mm, on aurait vu moins de détails sur, par exemple, certains éléments du décor qui ne me satisfaisaient pas pleinement, mais je me suis dit, après tout, que je tournais en numérique et qu’il n’y avait aucune honte à cela, donc j’ai décidé de jouer le jeu jusqu’au bout. C’est du noir et blanc digital, il n’y aura plus d’erreurs au niveau du processus chimique de développement de la pellicule, ce seront maintenant des pixels qui apparaitront, d’étranges effets de contraste comme le « moiré » et il va bien falloir que je les apprivoise, que je les accueille avec plaisir, que j’en vienne même à les espérer ! Et plus le temps passera, plus les gens apprendront à aimer ces drôles d’erreurs liées au numérique. Car, à l’heure actuelle, les gens sont plus embarrassés que ravis par ce genre de choses. Un technicien vient vous voir et dit : « Zut, tu as un effet de moiré sur cette image », et vous lui répondez : « D’accord, et alors ?» Ça fait partie du film !
Puisque l’on parle, en quelque sorte, d’images de synthèse, je dois vous dire que votre Ulysse me fait penser à une sorte de personnage de jeu vidéo, car il doit trouver et amasser des objets pour réussir à passer dans la pièce suivante, et poursuivre sa quête.
Oui, c’est presque comme s’il devait avaler des sortes de pilules pour passer au niveau suivant, un peu à la manière d’un Pac-Man. C’est drôle que vous disiez cela, car j’ai brièvement envisagé à un moment de créer une carte de la maison, qui aurait été consultée par les personnages, un peu comme on peut le faire lorsqu’on est bloqué dans un jeu vidéo. On aurait pu y voir la progression des différents personnages dans la maison, comme s’ils avançaient dans des niveaux. J’aurais pu le faire si j’avais voulu que le déroulement du récit soit parfaitement clair, mais étant donné que je n’étais pas vraiment guidé par cette idée, j’ai laissé tomber. Je voulais que le film soit opaque, perturbant.
D’ailleurs, il y a beaucoup d’étranges images symboliques dans Ulysse qui composent une sorte de patchwork. Je pense évidemment à celle d’un pénis qui émerge d’un mur…
Écoutez, nous avions besoin d’un cyclope ! (rires) Je discutais avec un ami, nous étions à la piscine, dans une atmosphère très détendue et je lui parlais de ce projet de film. Mon ami est un professeur de littérature anglaise à la retraite, il a bientôt 70 ans, donc je me disais que par un moyen ou un autre il devait bien connaître l’Odyssée d’Homère. Il me disait qu’il fallait absolument un cyclope dans mon film. Selon lui, j’avais deux possibilités : utiliser un pénis, puisqu’il n’a qu’un seul œil, ou un poste de télévision. La deuxième solution était problématique, car elle aurait pu emmener le spectateur sur une fausse piste, une mauvaise interprétation à propos d’une quelconque critique des médias, ce qui n’était vraiment pas mon intention. Et puis j’avais réalisé quelques courts-métrages sous forme de sketches pour mon usage personnel, où l’on voyait déjà ce vieil homme faire des « fellations fantômes », donc j’ai décidé de poursuivre dans cette voie. De plus, à l’époque, je n’avais pas suffisamment d’argent pour tourner un long-métrage, donc j’envisageais plus Ulysse sous la forme d’une succession de formats courts. Je pensais même en faire une installation pour le Festival du Film de Rotterdam, avec une dizaine de courts-métrages, et puis finalement j’ai obtenu les financements pour faire le film sous la forme qui est la sienne aujourd’hui. Mais l’un de ces courts-métrages contenait beaucoup de ces sortes de « fellations fantômes ». Allez savoir pourquoi.
Il y a également le motif de la tempête, qui est à la fois un élément menaçant et protecteur.
Oui, j’aime bien les tempêtes. Elles font peur, mais lorsque vous êtes enfant, c’est une bonne excuse pour rester à la maison avec vos parents au coin du feu. J’aurais bien voulu inclure une cheminée dans la maison d’Ulysse, mais je ne pouvais pas me le permettre financièrement. Mais c’est bien sûr aussi une convention du film d’horreur, une maison prise en pleine tempête, avec des choses effrayantes se déroulant à l’intérieur. C’est un cliché, mais cela donne une grande variété au niveau visuel car vous travaillez la lumière pour donner le sentiment en permanence que les éléments se déchainent à l’extérieur. J’aime bien l’idée qu’il y ait des ombres portées qui se déplacent dans la maison à cause de cette tempête, et la foudre qui vient subitement surexposer l’image. Ce sont également des éléments sur lesquels on peut s’appuyer au montage. Et puis cela donne une certaine texture à la bande-son. Au mixage, le technicien se plaignait que je lui demande trop souvent de mettre des coups de tonnerre. Il pensait que c’était répétitif et ennuyeux, en plus je n’ai utilisé qu’un seul type de son de coup de tonnerre que j’avais piqué sur YouTube, mais je tenais vraiment à ce que ce soit toujours le même, cela produisait une impression étrange.
C’est aussi une expression de la colère du personnage principal. D’ailleurs, saviez-vous que pour certains linguistes le nom d’Ulysse est lié à l’état de colère ?
Ah oui, c’est vrai ? C’est drôle, mais je dois avouer que Jason Patric est vraiment quelqu’un qui a de la colère en lui. Vous avez parfois l’impression lorsqu’il vous regarde qu’il va vous en coller une, ou faire valser la caméra ! C’est quelqu’un de très intense, mais je comprends bien sa colère. Il m’a raconté une histoire personnelle, qui se déroulait en 1973 alors qu’il avait sept ans. Son père, Jason Miller, qui jouait le Père Damien Karras dans L’Exorciste, lui faisait visiter le plateau de tournage, et quelque temps plus tard il a abandonné sa famille en expliquant à son fils qu’il serait à présent « l’homme » de la maison. Jason Patric l’a véritablement pris au mot, et il s’est occupé de sa mère et des autres femmes de la famille comme s’il était le patriarche. Donc je crois qu’il comprend mieux que quiconque le concept d’abandon, d’un père absent. Je pense qu’il a véritablement compris l’histoire du film, même s’il me disait que ce n’était pas le cas. Mais il a apporté sa colère en tant que fils abandonné et la douleur que cela implique au personnage d’Ulysse.