En périphérie des métropoles, des centaines de cinémas programment et font vivre des films Art et Essai. Cet été, nous allons à la rencontre de celles et ceux qui les animent, pour évoquer les spécificités et enjeux de quelques-uns de ces établissements. Deuxième invitée : Sylvie Larroque, codirectrice du cinéma L’Atalante (3 écrans, 400 fauteuils) à Bayonne (Pyrénées-Atlantique).
Quelles sont, au quotidien, les particularités de la gestion administrative d’un cinéma par une association, comme c’est le cas à l’Atalante ?
Il m’est difficile de vous faire une réponse générale, car il existe des situations différentes selon les établissements. Certains conseils d’administration sont extrêmement impliqués dans la gestion au quotidien, avec des bénévoles très présents. D’ailleurs, le fonctionnement de petits cinémas repose parfois en partie sur des forces bénévoles. À l’Atalante, ce n’est pas tout à fait le cas. Il y a bien une association, assez active, avec un conseil d’administration constitué de dix-huit membres et un certain nombre de bénévoles qui nous aident sur des tâches assez précises (la diffusion du programme, le soutien sur les soirées, etc.), mais le cinéma tourne principalement grâce à une équipe salariée. Cela dit, votre question rejoint une réflexion que l’on a en ce moment, de revenir à une implication plus importante de la part des bénévoles dans la gestion du cinéma. L’assise de « Cinéma et Cultures », l’association de l’Atalante, est importante parce que l’on a, chose assez rare parmi les cinémas associatifs que je connais, 2 500 adhérents. C’est une force, face à nos interlocuteurs (les collectivités, les distributeurs, etc.) de pouvoir revendiquer un tel nombre. Le statut associatif nous permet en outre d’avoir accès à divers financements. À la différence d’un cinéma privé, où l’équilibre du cinéma repose uniquement sur ses recettes, entre 20 et 25% de nos ressources viennent de soutiens extérieurs. Le projet culturel de l’Atalante pourrait de toute façon difficilement exister sans soutien public, qu’il s’agisse de la ville ou de la région, pour ne citer qu’eux.
Le cinéma semble ne constituer qu’une pièce du modèle associatif de l’Atalante, qui accueille aussi un espace restauration et d’exposition.
Tout à fait. Cette ambition est antérieure à notre emménagement, il y a maintenant quatre ans, dans le lieu que nous occupons actuellement. Avant, l’Atalante était éclatée entre deux lieux différents, un mono-écran comme lieu principal, avec un petit bistrot et un local qui nous permettait déjà d’organiser des expositions ou des concerts de temps en temps, puis un autre espace créé par la suite, doté de deux salles supplémentaires. On était déjà dans cette logique de mêler une programmation cinématographique exigeante avec une vie d’un lieu convivial accueillant des animations. Quant à la transversalité, l’idée est de concevoir une véritable ligne éditoriale, de ne pas être dans de l’animation pure. Il nous importe que les expositions soient de qualité, même si nous ne sommes pas une galerie d’art. C’est encore mieux si elles résonnent avec la programmation cinéma ! Cette logique trouve un certain accomplissement lors des « rencontres sur les docks », le festival de quatre jours que nous organisons chaque année. Il a été conçu dans l’idée d’une circulation (et d’un mélange des arts : concerts, expositions, DJ sets) qui nous permet de nous appuyer sur des réseaux locaux et un tissu associatif varié. C’est une manière d’aller chercher d’autres publics, pour permettre notamment son rajeunissement.
Cette diversification des activités est aussi une manière de se distinguer des grands réseaux de cinémas, notamment du multiplexe CGR (7 écrans, 1096 fauteuils) situé à moins de deux kilomètres de l’Atalante.
Que ce soit en termes de programmation ou d’animation, on est un peu aux antipodes du CGR. Je ne sais même pas si on a besoin de se distinguer d’eux, en tout cas directement, car notre identité est d’emblée très différente. La baisse de la fréquentation des salles en général nous a en revanche inquiétés : on a ressenti le besoin d’affirmer notre identité, de rendre le lieu le plus dynamique possible. Quoi qu’il en soit, notre logique est payante : on a vraiment créé une fidélité, par exemple dans la fréquentation des débats, grâce à la régularité de propositions variées.
L’Atalante revendique d’être l’un des plus anciens cinémas de Nouvelle-Aquitaine. Outre votre action, constatez-vous l’existence d’un foyer cinéphile particulier dans cette ville ?
Le premier élément notable, bien moins anodin qu’on pourrait le penser, c’est qu’il s’agit d’un cinéma situé dans le Pays Basque. L’ancrage sur ce territoire précis n’est pas négligeable, parce que les gens y ont un certain sens de la minorité. J’ai l’impression que cette culture nourrit la curiosité de nos spectateurs pour des problématiques fortes. Ensuite, Bayonne est située dans une aire géographique assez privilégiée : notre public compte beaucoup de retraités qui viennent sur la côte et sont habitués à une vie culturelle riche. À l’origine, l’Atalante était d’ailleurs un cinéma-théâtre. Enfin, le tissu de cinémas est très dense au niveau régional, notamment grâce à l’association CINA. La politique de production de la Nouvelle-Aquitaine, elle aussi très dynamique, nous permet d’accueillir un certain nombre d’invités. Il arrive que certains des réalisatrices et réalisateurs que l’on reçoit soient surpris de la qualité des débats et des échanges avec notre public.
Le travail que vous menez en faveur du jeune public est complété par diverses actions à destination des 15 – 25 ans, plus difficiles à conquérir. Quels moyens mettez-vous en œuvre auprès de ce public particulier ?
Ces actions procèdent d’une crise de conscience assez générale sur la nécessité d’aller chercher ce public-ci. On a déjà mis en place, à la rentrée dernière, un principe d’ambassadeurs à travers un dispositif baptisé « Les passagers ». On cherche à renforcer ces liens avec le public étudiant, notamment l’ESAPB (École supérieure d’art Pays Basque), ancrée à la fois sur Bayonne et sur Biarritz. Si le travail à l’attention des scolaires est devenu une évidence, celui envers le public adolescent et les jeunes adultes reste encore à renforcer. On voit qu’il est difficile de fidéliser ce public, même en leur donnant une carte d’accès gratuite au cinéma toute l’année. Je suis toujours un peu surprise qu’ils ne viennent pas plus régulièrement au cinéma. Personne n’a encore trouvé la formule magique.