En périphérie des métropoles, des centaines de cinémas programment et font vivre des films Art et Essai. Cet été, nous allons à la rencontre de celles et ceux qui les animent, pour évoquer les spécificités et enjeux de quelques-uns de ces établissements. Cinquième invité : Rémi Labé, directeur du cinéma Le Navire (5 écrans, 739 fauteuils), à Valence (Drôme).
Le Navire vient tout juste d’être racheté par Haut et Court, une société de distribution dont le réseau de salles ne cesse de s’étendre. De quelle manière ce rachat influe-t-il sur la programmation du cinéma ?
Jusqu’à présent, j’étais le programmateur unique de la salle. Si Le Navire dépendait d’une SCOP (NDLR : Société coopérative et participative) qui regroupait trois cinémas, la programmation n’était pas pensée en commun avec l’ensemble du groupe. Cela me permettait ponctuellement de défendre des coups de cœur plus personnels. À présent, la programmation est négociée plus en amont, directement avec Haut et Court. Je suis en lien avec les équipes qui s’en chargent mais, dans les faits, la ligne reste extrêmement proche. J’ai constaté des petits changements sur le nombre de séances des sorties les plus importantes, là où je n’avais pas pour habitude de les programmer autant. Cela s’explique sans doute par le fait que j’étais en négociation directe avec les distributeurs, alors qu’il s’agit désormais d’une programmation générale, moins sensible aux spécificités de chaque cinéma. Pour le public, cette nouvelle organisation n’est pas vraiment perceptible, d’autant que je garde une autonomie totale sur la politique événementielle, sur le travail autour du patrimoine et du jeune public.
Qu’en est-il des films distribués par Haut et Court ? Auront-ils une place plus importante dans la programmation ?
Le cas de figure ne s’est pas encore présenté. Les films qu’ils distribuent s’inscrivent de toute façon totalement dans la ligne des films qui sortent au Navire. Leur intérêt, c’est que les salles fonctionnent, qu’elles trouvent un public en phase avec la programmation, pas d’imposer absolument leurs films.
Valence est l’un des pôles du cinéma d’animation les plus importants en France. Cette particularité locale se retrouve-t-elle dans la programmation ?
C’est évidemment une très grande force grâce à laquelle j’organise beaucoup de séances, et ce notamment autour du cinéma d’animation pour adultes. C’est une spécificité que j’ai bien pointée lors du rachat par Haut et Court, afin qu’ils prennent en compte ce travail au long cours. Nous sommes à côté des studios, proches des réalisateurs et réalisatrices, donc on organise facilement des rencontres avec des équipes. Je pense par exemple à la sortie d’Interdit aux chiens et aux Italiens, qui a été un gros événement local puisque le film a été tourné ici. Nous avons pu organiser un certain nombre d’événements avec l’ensemble des partenaires, et nouer des liens avec plusieurs établissements culturels, notamment grâce à une exposition qui présentait le matériel utilisé pendant le film au Centre du Patrimoine Arménien.
La relative proximité de Valence avec Lyon, joignable en à peine plus d’une heure, ne vous prive-t-elle pas de certains invités, notamment lorsque les équipes tournent en France pour montrer un film en avant-première ?
Cela dépend de l’ampleur des tournées. Forcément, lorsque les tournées sont plus restreintes, les grandes villes sont privilégies à des localités comme la nôtre. Ensuite, ça n’est pas vraiment dramatique ! On a vraiment de quoi faire en termes d’invités tout au long de l’année. La forte densité de cinémas et de lieux culturels, qui est l’une des particularités de la région, voire du département, nous permet de compenser en partie notre position, car elle nous permet souvent de proposer des mini-tournées aux équipes en concertation avec plusieurs cinémas importants situés dans les villes alentours.
Si le tissu de salles est important à l’échelle départementale, il l’est aussi à celle de Valence même, qui compte, outre Le Navire, le Lux Scène Nationale de Valence (2 écrans, 377 fauteuils) et un Pathé (12 écrans, 2343 fauteuils).
Heureusement, la programmation de chacun des établissements est assez différente. La Scène Nationale, que le public identifie bien moins comme un cinéma, ne représente pas vraiment un obstacle. Ils sont historiquement positionnés sur le jeune public et le patrimoine, donc on essaie d’avoir un partage assez équitable sur les quelques films que nous sommes amenés à passer en commun. Le problème viendrait plutôt des douze salles du Pathé, qui est un très gros cinéma pour une petite ville. Ils programment bien plus régulièrement des films Art et Essai porteurs : après Cannes, ils ont pris L’Amour et les forêts, Omar la Fraise et Wahou !, qui étaient nos trois têtes d’affiches. De plus, ils passent ces films sur cinq séances, quand nous en avons tout au plus trois. La multiplication des copies est malheureusement devenue la politique des distributeurs. L’impact est négligeable pour certains films, mais pour d’autres, ça nous fait forcément perdre des entrées. Un cas récent m’a particulièrement frappé : celui de Annie Colère, sur lequel je m’étais positionné très en amont auprès du distributeur. J’avais vraiment préparé et défendu la sortie, pour apprendre deux jours avant qu’ils avaient donné une copie supplémentaire au Pathé. Sur un film comme celui-là, je ne comprends pas : d’ailleurs, nous avons fait une sortie correcte, alors que le Pathé a fait des chiffres catastrophiques.