En périphérie des métropoles, des centaines de cinémas programment et font vivre des films Art et Essai. Cet été, nous allons à la rencontre de celles et ceux qui les animent, pour évoquer les spécificités et enjeux de quelques-uns de ces établissements. Troisième invitée : Laetitia Mazeran, directrice d’exploitation du cinéma Les Arcades (3 écrans, 453 fauteuils) à Cannes (Alpes-Maritimes).
Cannes accueille deux semaines par an le plus grand festival de cinéma au monde. Quel rapport entretiennent plus largement les Cannois avec le cinéma d’Art et Essai ?
Les films d’auteurs représentent la majeure partie de la programmation du Festival de Cannes. Pendant le festival, les Cannois ont de nombreux avantages, avec un accès facilité aux accréditations cinéphiles ou la possibilité d’obtenir des places. Il y a donc une vraie culture du cinéma d’auteur qui se met en place à l’occasion du festival et qui va rayonner sur l’exploitation commerciale le reste de l’année, et ce notamment pour des films qui seraient peut-être plus fragiles dans d’autres villes ou régions.
Cela veut-il dire que vous avez moins besoin « d’accompagner » les films ?
Le festival sert de vitrine aux films sélectionnés, qui n’ont en effet pas besoin d’attendre la presse ou la promotion lorsqu’ils sortent en salles, puisque les spectateurs cannois les ont généralement déjà repérés. Donc effectivement, de manière générale, les films ont moins besoin d’être accompagnés qu’ailleurs, mais ce n’est pas pour autant qu’on ne le fait pas. En tant que salle labellisée Art et Essai, on met en place des événements avec des partenaires culturels, dont la ville de Cannes regorge : groupes cinéphiles, associations locales et sociales, l’Orchestre national de Cannes, etc.
L’année cinématographique est-elle vécue, pour les habitants, comme un prolongement direct du festival ?
Pas vraiment, non. À la fin du festival, on fait toujours face à une période un peu creuse, les cannois sont fatigués d’entendre parler de cinéma. Mais nous sommes une station balnéaire, dont la saison commence très tôt. Après le festival, en vérité, on bascule quasiment directement sur la période estivale, qui implique une toute autre logique d’exploitation. Comme une grande partie de notre programmation est en version originale, on renforce la présence de films étrangers et surtout anglophones, parce que l’on remarque que de nombreux touristes étrangers ont envie de voir un film à Cannes, même si ce n’est pas au Palais des Festivals. C’est une des particularités de cette ville : son visage change beaucoup tout au long de l’année. Elle accueille de nombreux congrès internationaux, dont le festival fait partie, et s’adapte au fur et à mesure des saisons et de ses touristes.
Cannes compte d’ailleurs un nombre de cinémas important par rapport à sa taille et à son nombre d’habitants.
Cannes dispose de trois salles commerciales : l’Olympia, le Cinéum et Les Arcades, auxquelles s’ajoutent les deux salles municipales que sont l’Espace Miramar et le théâtre Alexandre III. Pour l’exploitation de ces salles, qui ne sont pas exclusivement dédiées au cinéma, la ville mandate un opérateur, Cannes cinéma, par ailleurs le coordinateur régional d’éducation à l’image. C’est ce dernier qui met en place de nombreux dispositifs scolaires et fait vivre toutes les salles en dehors de la période du festival. Il organise également les « Rencontres cinématographiques de Cannes », un festival ouvert à tous se déroulant dans l’ensemble des salles de la ville. Le tout pour un nombre de projections, comme vous le disiez, particulièrement élevé par rapport au nombre d’habitants.
Au milieu de cette offre pléthorique, comment vous démarquez-vous ?
Nous essayons de développer et de renforcer le plus de partenariats possibles : par exemple, cette année, nous avons donné la possibilité à des lycéens en spécialité cinéma de faire de la programmation et d’animer des séances. L’idée, pour nous, est de penser la programmation un peu différemment : en fonction des thématiques des films bien sûr, mais aussi de nos partenaires, pour que la salle soit la plus vivante possible.
Cette ouverture aux lycéens complète un travail plus large auprès du public scolaire.
D’octobre à mai, les matinées sont exclusivement privatisées pour les séances scolaires sur la totalité des salles : on fait un peu plus de douze mille élèves en séances additionnelles, qui vont de la petite section de maternelle aux classes de lycée, voire même à l’enseignement supérieur. Certaines de ces séances dépendent de dispositifs nationaux comme Collège au Cinéma, mais nous proposons aussi des projections à la carte en fonction des sorties nationales, ou des thématiques que les professeurs abordent en classe et qui demandent un film comme support. C’est une autre part de l’exploitation, qui rejoint l’ouverture au public de l’après-midi.
Quelles actions menez-vous en faveur plus spécifiquement du public adolescent ?
Lors d’un rendez-vous organisé par la région pendant le festival, certains jeunes spectateurs se sont plaints que les salles n’allaient pas assez vers eux. On est peu dans une impasse : s’ils partagent ce sentiment, et que nous, exploitants, considérons simplement que « les jeunes ne vont plus au cinéma », difficile de remédier à la situation. Il me semble qu’il faut faire davantage de pédagogie sur notre métier. J’ai la chance que des professeurs des spécialités me laissent chaque année un créneau pour décrire mon travail à des classes. Tout en évoquant mon métier, j’essaie de leur dire que la salle ne leur est pas inaccessible.
Le Cinéum, un multiplexe de douze salles en périphérie de Cannes, propose une expérience de cinéma axée sur la technologie et le confort (salles Imax, ScreenX, projection laser 4K, fauteuils innovants, etc.). Comment parvenez-vous à défendre des salles « classiques » à côté d’un établissement qui propose une telle expérience ?
À vrai dire, assez simplement : Les Arcades et le Cinéum dépendent de la même maison. C’est donc un choix d’offrir aux Arcades une expérience cinéphile privilégiant le cinéma d’auteur et au Cinéum une expérience de cinéma qui est tout autre. Nous travaillons en bonne intelligence pour répondre aux attentes de nos spectateurs, sur nos quinze salles.
Il y a donc une porosité entre la programmation de deux établissements a priori relativement opposés.
Absolument. Par exemple, le Cinéum propose aussi des films en version originale ! Cela a toujours été la politique de la maison mère, en tant que petit circuit indépendant qui compte, outre nos deux établissements, deux Cineplanet à Salon-de-Provence et Alès, et projette d’en construire un nouveau à Antibes. La volonté de notre PDG est d’offrir le cinéma à tous, ce qui passe par la proposition d’expériences différentes, en plus d’une politique de tarifs à bas coûts sur certaines séances.
Un tel fonctionnement en réseau est-il, selon vous, bénéfique en termes d’entrées ?
Il est difficile de répondre à cette question, puisque l’on retrouve seulement, depuis le début de l’année, une fréquentation ressemblant à celle d’avant la crise du Covid et les fermetures successives. De plus, le Cinéum a ouvert il y a peu : on manque donc de recul pour observer comment l’enrichissement de l’offre influe sur les entrées. Jusqu’à présent, nous avions une base de cent mille entrées annuelles sur trois salles confrontées à une forte concurrence, ce qui me semble très honorable.