Du 24 au 30 novembre 2010, le cinéma polonais était à l’honneur lors du tout jeune festival KinoPolska organisé par l’Institut polonais et Lumières of Europa à Paris au Reflet Médicis. Cette troisième édition confrontait des productions emblématiques des années Solidarnosc, ce célèbre syndicat qui fit vaciller le système communiste, aux œuvres de la nouvelle génération. De quelle manière les films de cette période, souvent marqués par le sceau de la censure, ont-ils influencé les réalisateurs contemporains ? Cette riche programmation a tenté de répondre à cette interrogation en nouant un dialogue fructueux entre passé et présent grâce à un panorama de ce cinéma encore trop mal distribué en France.
La figure de la mère, métaphore de la patrie, occupe une place majeure. Malmenée, elle symbolise ce pays qui fut déchiré à la fois par l’occupation allemande, la présence russe et par l’instauration d’un régime communiste intransigeant.
Dans Tribulations d’une amoureuse sous Staline sorti en salle en France le 24 novembre dernier, Borizs Lankosz revisite l’époque stalinienne en mettant en scène trois générations de femmes, Sabine, sa mère et sa grand-mère qui cohabitent sous le même toit. La plus jeune tombe amoureuse d’un bel inconnu qui la conduira, elle et sa famille, dans de sombres rebondissements. Ce jeune réalisateur porte un regard accusateur sans concession sur un passé tragique. Avec un humour grinçant, il revient sur l’absurdité d’un système aliénant. Ces trois mères incarnent d’une certaine manière l’évolution du pays. Victimes de la perversité du système, elles affrontent avec résignation leur destin. B. Lankosz, ancien étudiant de la célèbre école de cinéma de Lodz a fait ses armes comme certains de ses prédécesseurs dont Kieslowski avec le documentaire. Ici, il se détache des codes du genre, refusant d’adopter une esthétique proche du réalisme social. Il joue sur la profondeur de champ en noyant certains plans dans un flou tendant vers l’abstraction et marquant l’opacité de cette société sous contrôle, génératrice de terribles tabous.
Dans Mère Térésa des chats de 2010 réalisé par Pawel Sala, la mère dépassée par l’attitude de son fils, par son quotidien de représentante en assurance esseulée, doit faire face à l’incompréhension. Débordée par une réalité qui la submerge, elle devient la victime d’un fait-divers terrifiant dont Pawel Sala essaie d’élucider les causes en analysant la psychologie de ses personnages pétris de frustrations, interprétés par Matheuz Kosciukiewicz et Filip Garbacz.
Le jeune réalisateur, présent à l’issu de la projection avoue avoir été influencé par la Femme seule d’Agnieszka Holland (tourné pour la télévision polonaise en 1981 et diffusé six ans plus tard). Irena (Maria Chwalibog), une mère-célibataire tente d’élever son fils avec dignité malgré les difficultés économiques qu’elle doit surmonter en cette période de rationnement. Mais sa rencontre avec un jeune mineur handicapé (Boguslaw Linda acteur principal du Hasard de Kieslowski) la précipite dans un voyage sans retour. Ces êtres meurtris par une société dans laquelle ils ne parviennent pas à se faire respecter, se blessent mutuellement. Attirée par le pouvoir de l’argent et le rêve capitaliste, Irena en vient même à abandonner son rôle de mère. Dans ces deux films, les auteurs mettent en scène des êtres complexes meurtris, et tentent de comprendre comment certaines blessures peuvent faire sombrer dans la folie.
Dans la même lignée, Robert Glinski relate le destin tragique de jeunes garçons, les Piggies, (les petits cochons) qui se prostituent pour de riches pédophiles allemands.
Il dresse le portrait d’une Pologne contemporaine, happée par le capitalisme, dans laquelle les parents sont dépassés. La mère de l’adolescent ressemble à celle des autres films évoqués. Elle se tue à la tâche, soumise à la désinvolture de son mari entraîneur de foot, elle reste passive, abandonnant son rôle éducatif.
Jacub Piatek filme, quand à lui, l’attente et la solitude d’une mère de détenu, qui n’hésite pas à parcourir plusieurs centaines de kilomètres pour visiter son fils incarcéré dans Matka (La mère) (2009).
Trente ans après les années Solidarnosc, l’ouverture du pays avec l’application des accords de Schengen pose d’autres problèmes économiques. La course à la consommation, le règne de l’argent engendre immanquablement d’autres drames. Il n’y a plus de frontières entre les pays et plus de limites morales.
Filip Garbacz, l’acteur principal de Piggies présent lors de la projection incarne le rôle de Tomek qui après une suite de déceptions décide de se vendre pour payer à sa copine des facettes en émail, pour avoir un sourire de star américaine. Ce dernier fait ici ses premiers pas au cinéma en proposant une admirable interprétation. Le tournage de ce film fut éprouvant nous confia-t-il. Certaines prises pouvaient être refaites une vingtaine de fois.
En choisissant des acteurs non professionnels et en filmant ses personnages avec brutalité, caméra à l’épaule. Robert Glinski s’empare du langage du documentaire dont il est familier pour coller au plus près d’une réalité crue.
À son tour, Marcel Wrona sonde la société polonaise et son immigration clandestine. Dans un souci de vérisme, il tourne au sein du stade du XXeme anniversaire, ghetto de Varsovie.
La jeune Vietnamienne de Ma chair, mon sang accepte la proposition d’un boxeur professionnel en fin de carrière qui lui demande de devenir mère porteuse en échange de la nationalité polonaise. La fiction rencontre la réalité quand en écrivant le scénario, le cinéaste se rend compte que le destin de son héros est étrangement similaire à celui d’un célèbre champion de kick-boxing polonais. Au moyen d’une photographie extrêmement léchée aux images bleutées, Marcel Wrona dépeint la descente aux enfers d’un homme condamné à mourir.
La caméra scrute les personnages d’Une femme seule. Les gros plans sur les visages des ouvriers de chemins de fer, regard face caméra renvoient aux photographies documentaires d’un Walker Evan, signifiant la misère de cette classe ouvrière et posant d’emblée le contexte social dans lequel évolueront les personnages.
Si le genre documentaire contamine souvent la fiction dans les œuvres de ces réalisateurs, c’est sans doute car il a eu une importance notable dans ce pays mené par des figures emblématiques comme celles de Marcel Lozinski, dont on a pu découvrir Poste restante (2009), poème visuel du parcours des lettres non distribuées et Essai de microphone (1980), dispositif filmique cherchant à laisser la parole aux employés d’une usine de cosmétique
Fortement influencé par ce documentariste, Bartek Konopka propose une relecture singulière de l’histoire du mur de Berlin vu par les yeux d’un lapin avec son Lapin à la berlinoise (2009). Ce conte propose de porter un regard neuf sur un épisode historique. Le réalisateur mêle images d’archive et faux documents le tout commenté par une voix-off.
Isabela Plucinska reprend le fil narratif de ce docu-fiction pour son film d’animation Estherhazy.
Le cinéma d’animation polonais connut un essor fulgurant dans les années 1960 – 1970. Il permettait par son encrage dans l’imaginaire de détourner la censure et constituait un moyen idéal d’évasion. Zbigniew Rybynski également diplômé de l’école de Lodzs, est l’un de ses chefs de fil, pionnier dans le domaine de l’art numérique. Avec Tango, récompensé par un Oscar en 1983, il retranscrit l’absurdité de la vie. Entre les quatre murs d’un appartement ordinaire s’accumulent différents personnages répétant inlassablement la même action en une danse incongrue. Chacun semble enfermé dans sa solitude.
On retrouve cette thématique de l’absurde dans la comédie culte Nounours qui tourne en dérision la situation politique de la Pologne des années 1980 pour mieux échapper à la censure.
Ces auteurs polonais portent un regard singulier, en utilisant un découpage innovant, une narration originale, ils renouvellent la production cinématographique.
Si avec Le Hasard, Kieslowski propose les trois chemins possibles qu’aurait pu suivre le destin de Witek mettant en évidence le rôle déterminant du hasard dans la vie de chaque individu, avec Zero, trois décennies plus tard, Pawel Borowski traite à sa manière de cette même thématique en utilisant un parti-pris formel dans lequel rien n’est laissé au hasard. Zero fait écho à l’installation filmée Der Lauf der Ding des artistes Fischli et Weiss, dans laquelle chaque évènement en entraîne un autre. Le scénario tiré au cordeau de ce long-métrage s’appuie sur le même mécanisme. L’action de tel personnage a une répercussion sur tel autre. Les individus se croisent. La caméra valse d’un destin à l’autre avec virtuosité.
Pawel Sala réalisateur de Mère Térésa des chats a appris par son expérience à la télévision, la nécessité de tenir en haleine le spectateur prêt à zapper à tout instant, il choisit un montage singulier pour le captiver. Il raconte cette histoire vraie à rebours en commençant par son dénouement. Il ne s’agit pas pour lui de réaliser un thriller classique mais de rechercher les failles émotionnelles des protagonistes.
La pertinence de la programmation de KinoPolska a encore cette année permis de porter un regard neuf sur une production dynamique avec l’émergence d’une nouvelle génération d’auteurs prometteurs.