Ce compte-rendu est le fruit d’un partenariat entre le Festival Kinopolska, l’atelier d’écriture critique de L3 de l’UFR LAC de l’Université Paris-Diderot et Critikat. Caroline Pinaut, Gauthier Jeanbart, Anne Kazemzadegan, Carole Derennes, Juliette Naviaux, Mathieu Den Hartog, Aurore Matz et Martin Jauvat en sont les auteurs exclusifs. Nos remerciements chaleureux vont à Charlotte Swiatkiewicz, Anne Berrou, Gaspard Delon et Clément Graminiès.
On remonte les Champs-Élysées en luttant contre les premiers froids de novembre jusqu’à la porte du Balzac. C’est là que se tenait le festival Kinopolska, quelques jours seulement après les événements tragiques qui ont frappé la capitale. Outre une fenêtre ouverte sur le coeur battant du cinéma polonais, vodka, pommes (polonaises, bien sûr) et autres spécialités aromatisées rappelaient que les films des concitoyens d’Andrzej Wajda se savourent toujours mieux l’esprit légèrement troublé par l’alcool. On franchit la porte en espérant que l’enthousiasme post-dégustation trouvera son écho dans la salle obscure. La transition est brutale : drames personnels, récits de guerres, visions post-apocalyptiques, les films s’enchaînent et réveillent les vieux fantômes de cette Pologne tourmentée qui hantait nos manuels d’histoire. De quoi éponger la première tournée de vodkas avant d’enchaîner avec la seconde, après les films – souvent salutaire.
Caroline Pinaut
Compétition longs métrages
Le cinéma polonais ne croulant pas sous la popularité en France, il est plaisant de voir un festival comme Kinopolska pour le mettre en avant. C’est donc au Balzac que se déroula le festival sur cinq jours, composé de plusieurs catégories dont une compétition de six longs métrages. Chapeauté par l’institut polonais de Paris, l’idée consiste autant à exposer le cinéma polonais au public parisien, qu’à ramener un morceau de leur culture aux polonais de France. Exposer et communier, à travers une sélection d’une étonnante diversité, dévoilant plusieurs facettes d’un cinéma ignoré – et à travers lui d’une histoire, à la fois tumultueuse et méconnue.
Gauthier Jeanbart
Calling et Demon : non-dits
Bien que très différents, Calling de Marcin Dudziak et Demon de Marcin Wrona naviguaient tous deux dans les eaux troubles du non-dit. Marque du refoulement dans Calling, le non-dit va de pair avec un style assez méthodique, froid et laconique. Calling parvient pourtant à transporter le spectateur, le plongeant dans une sorte d’état second, de rêverie. Bercé par des longs plans séquence, le regard vadrouille dans de somptueux panoramas forestiers. Lent et contemplatif, le récit décrit l’évolution des rapports d’un père avec son fils au fil d’échanges épars, accusant le fossé générationnel tandis que défile un paysage vierge de toute trace, amnésique, semblant ne jamais pouvoir les rassembler.
Petite fable d’incommunicabilité à quoi Demon, avec son sujet « pavé dans la mare », apportait un judicieux contrepoint. Coproduit par une société Israélienne – une première dans l’histoire du cinéma polonais –, le film met les pieds dans le plat et sort les cadavres du placard de l’histoire polonaise. Souffrant de gros problèmes de ton, partagé entre ses jump scares terrifiants, le poids de son sujet (la participation du peuple polonais à la Shoah) et un humour potache un peu regrettable, Demon joue à fond sa carte d’invité malpoli. Et pour cause, le film raconte la possession d’un marié par l’esprit d’une juive assassinée puis spoliée par la famille de sa femme le jour même de sa noce. Un peu bâtard, Demon réussit malgré tout à peindre les névroses lancinantes d’un peuple myope de son propre passé. À ceci près que, sans cesse rabaissée par un personnage de médecin/Sganarelle lourdement fantoche, l’excellente montée en puissance de la première moitié du film est tuée dans l’œuf par ses propres prétentions comiques. Dommage, car le traitement d’un passé refoulé par le détour du film d’horreur avait de quoi faire de Demon le meilleur film de la compétition. Encore eût-il fallut faire l’impasse sur ce comique balourd et, au fond, assez gênant.
Gauthier Jeanbart
Pour charcuter, ils ont mis les bouchers doubles
D’humeur massacrante ou cruelle, certains films font de la Pologne un véritable abattoir. Dans The Red Spider de Marcin Koszalka, Karol, un jeune plongeur, découvre le corps d’un petit garçon. Un tueur en série rode dans les sixties à Cracovie et terrorise la population ; on l’appelle « The Red Spider ». Mais alors que Karol se lance à sa poursuite sans alerter la police, le meurtrier et son poursuivant finissent par se lier d’amitié, ce dernier allant jusqu’à se dénoncer à la place du boucher. Rituels et d’une extrême violence, les meurtres répondent toujours au même mode opératoire ; pourtant, c’est bien Karol qui va à l’abattoir, cobaye et chercheur pris au piège de son propre jeu. Premier personnage d’une petite série de tueurs, Karol faisait écho à tout un pan de la sélection, secrètement fasciné par la mort.
Dans Le Lendemain de Magnus von Horn (prix du jury), le bourreau devient cette fois-ci la victime, le boucher faisant l’expérience traumatisante d’un devenir animal – donc viande. À la suite du meurtre passionnel de son ex, John sort de prison. Encore adolescent, il réincorpore sa vie d’avant, retournant au lycée dans la campagne suédoise. Mais ses anciens amis le persécutent et l’empêchent de reconstruire sa vie. De bourreau, John devient le morceau de viande, rossé par ses anciens camarades comme un bifteck trop coriace. Complètement défiguré, il ne cesse de resurgir, placide. Froidement abattu puis enterré par John, le chien de la famille illustre malicieusement la place du jeune paria dans son ancien village. Car John est dans le même état d’agonie silencieuse que son chien malade : un crépuscule qui n’en finit pas.
Narrant l’histoire d’un chirurgien expérimental dans la Pologne du glacis soviétique, Bogowie (Lukasz Palkowski, prix du public) contraste par son personnage de boucher utile. Après quatre tentatives de transplantation cardiaque, le Dr Religa essaye tant bien que mal de réussir la première opération du genre. Ici, le corps humain est une viande froide, un objet soumis à la découpe, chronomètre en main et à même la chaussée. Armé d’un bistouri, le boucher se transforme en figure souveraine, tellement massive qu’elle ne rentre pas dans le cadre de la caméra – comme un colosse (à la mesure de ses ambitions médicales pour l’époque) dans un carton. Malheureusement, le film peine à épaissir son personnage, oscillant entre la face brute du boucher et un pendant humain peu crédible. Bogowie, trop tarantinesque aux entournures, aurait pu être un film séduisant, mais passer pour américain semble un peu léger pour briller dans un festival polonais.
Anne Kazemzadegan
Le regard des hommes (complément transversal)
Tout en silences et images froides, cette programmation présentait des héros systématiquement masculins et solitaires. Les protagonistes cheminaient seuls dans des mondes désertés par les femmes. Incompris de son épouse, le chirurgien de Bogowie est rongé par une culpabilité insondable. L’acteur aux traits délicats qui incarne le jeune meurtrier du Lendemain mettra quant à lui du temps à dévoiler ses blessures, confiant à sa nouvelle petite amie sa crainte de la solitude. Les femmes, mortes, muettes ou revanchardes (comme la mère de l’ex-petite amie assassinée du Lendemain), font peser sur les petits garçons le poids de leur absence. Elles sont le véritable angle mort d’une sélection dominée par les limbes. Des hommes mettent en scène des hommes, reléguant la femme à un arrière-plan plus équivoque qu’il n’y paraît : adolescentes rebelles (Le Lendemain), conjointes hors champ (Bogowie), victimes (The Red Spider), spectre à la recherche d’un corps – d’homme – à posséder (Demon), elles peuplent la mauvaise conscience de la Pologne, livrant les hommes à eux-mêmes, sans secours.
Carole Derennes
Séances spéciales
Difficile de trouver, dans une sélection composée d’avant-premières, de petits regrets de programmateur et de films probablement retenus par diplomatie, ce qui fait l’unité des séances spéciales d’un festival. Sous des airs de pot-pourri, les cinq films présentés dans le cadre de la huitième édition du festival de cinéma polonais offraient dans leur grande diversité une sorte d’état des lieux – non exhaustif, bien sûr, mais pas moins révélateur pour autant.
Juliette Naviaux
Détournement de l’archive et matérialité de l’image animée
La sélection des séances spéciales présentait deux films à visée documentaire. En prise avec l’histoire, les deux s’emparent d’images trouvées. L’Insurrection de Varsovie invente un récit en prenant appui sur des archives de combattants, prises sur le vif pendant la guerre. Le dispositif, original, est le suivant : Jan Komasa reprend des rushs de l’insurrection de Varsovie en 1944, les colorise, tourne des plans de reconstitution et mélange le tout en une drôle de matière fictionnelle. Le réalisateur a l’insolence géniale de s’approprier des images tragiques de l’histoire, les détournant pour finalement calquer sur elles un sens nouveau. Ni documentaire ni fiction, le film opère ses petits arrangements avec la mort – celle des cadavres authentiques des images d’archives. L’audace de la proposition surmonte à elle seule la question éthique, ici posée en d’autres termes. Creusant le dispositif d’une dimension réflexive plutôt bienvenue, deux personnages d’opérateurs rappellent l’importance d’extraire coûte que coûte des traces de la guerre. Les remployant, le film réactive ainsi des images fossiles, leur offrant littéralement une seconde vie : celle d’une fiction d’histoire, sublimant sa matière sans la changer pour autant.
Cousin de L’Insurrection de Varsovie, La Montagne magique multipliait lui aussi ses sources d’images. Récit de la vie d’Adam Jacek Winkler, Polonais réfugié à Paris dans les années 1960, le film s’inscrit dans un sous-genre émergeant ces dernières années : le documentaire d’animation, terre d’accueil des récits d’exils, de migrations et de guerres. À l’image de Persépolis de Marjane Satrapi (2007) et Valse avec Bachir d’Ari Folman (2008), La Montagne magique se base sur le témoignage de la fille de Winkler, teintant le récit d’une dimension intime. Le film jongle ainsi entre la vie rocambolesque du protagoniste en Afghanistan et sa relation avec sa fille, âgée de douze ans lorsqu’il décide de rejoindre le commandant Massoud contre les Soviétiques. Le père est portraituré en héros téméraire, se jetant sans cesse vers le danger tout en enseignant à sa fille, en voix off, les différents points de son « guide de survie ». Le film réintroduit le fantasme d’un cinéma fait-main, photogramme par photogramme, par une cinéaste dont le plaisir quasi artisanal à faire l’épreuve de l’image ne prend jamais le pas sur le récit. L’Insurrection de Varsovie et La Montagne magique sortent ainsi véritablement du lot, tant par leurs formes inventives que par la puissance de leur storytelling. On ne peut qu’admirer la manière dont le cinéma devient le lieu où coexistent l’histoire et la fiction, le documentaire et l’image animée, la création et la destruction.
Juliette Naviaux
Crise intime et pèlerinage identitaire
Si les séances spéciales se distinguaient pas une grande diversité formelle, la crise, commune à presque tous les films, dessinait un fil rouge tout en tension latente. Dans Crache cœur, la crise est celle d’une adolescence de chromo. La quête que l’on suit ici, c’est celle de Rose, à la découverte des premiers émois, des premiers désirs et tout ce qui s’ensuit : un violent tourbillon de sentiments, de la honte à l’envie, qui ponctuera la naïveté adolescente – pas moins naïve ici qu’ailleurs, mais peut-être un peu moins chaste que d’habitude. Quête redoublée par celle de Julia Kowalski dont le film marque un retour aux origines polonaises – sans marqueurs temporels et ouvertes à toutes les identifications. On apprécie le regard cru de ce périple verglacé, sans mièvrerie sur la jeunesse, dont l’absence de pathos révèle une âcreté surprenante pour le genre.
La crise de Body, comme l’indique son titre, c’est celle d’une fille anorexique au bord de l’implosion ; crise à laquelle font écho celle de son père médecin légiste et d’une mystérieuse thérapeute, dont les intérêts occultes comblent tant bien que mal une solitude accablante. Chacun renferme de vieux démons, la douleur intime enflant sous le poids des non-dits familiaux. Il faut saluer le travail tout en demi teinte par lequel Malgorzata Szumowska suggère la violence sans jamais la faire éclater. La réalisatrice jongle habilement entre funeste en creux et un humour noir, sur le fil d’un mauvais goût qu’elle ne franchit que très rarement. Les visages souriants de la scène finale concluent cette histoire en une belle leçon d’ironie, réunissant les morts et les vivants sous le patronage de la dérision, où la détresse d’une thérapeute abandonnée par ses pouvoirs de divinations fait le bonheur des autres, provisoirement réconciliés par l’absurdité de la scène.
Caroline Pinaut
Classiques du cinéma polonais
Des différentes catégories composant la programmation du festival, la sélection des classiques n’était, de prime abord, pas la plus attirante – préjugé vérifié par la faune des spectateurs, clairsemée et en grande majorité de culture et de langue polonaises. La sélection ne brillait pas non plus par sa diversité, dans la mesure où elle ne comprenait que deux auteurs polonais, Tadeusz Konwicki, décédé début 2015 et mis à l’honneur cette année avec trois films inédits en France, et Andrzej Wajda, dont deux de ses films les moins connus du public français étaient présentés. Centrée sur la théâtralité, la programmation semblait peu propice à donner une idée du cinéma polonais dans sa diversité. Elle s’est néanmoins révélée éclairante, traçant de vraies lignes de force autour des axes de l’identité, de la communauté et de la jeunesse polonaise.
Martin Jauvat
Hébétudes
Le festival débuta sous de mauvais auspices par Lave de Konwicki (Lawa en VO), adapté d’une pièce d’Adam Mickiewickz, figure majeure de la littérature polonaise. Incompréhensible de prime abord pour le spectateur étranger, le film multiplie les références à la situation politique de la fin des années 1980 et assume la fidélité à un texte, classique en son pays, dont le spectateur français ne saisira pas nécessairement les enjeux… Le réalisateur perd totalement son spectateur, faisant de ce qui constitue son dernier film, une bouillie de travellings bien trop verbeuse. L’un des seuls faits d’armes de cette œuvre écrasée par son ambition est un monologue de quinze minutes face caméra du protagoniste principal Konrad. Criant sa colère à Dieu, des images de la Shoah surgissent brutalement de ses paroles, terrassant le spectateur d’effroi. Film audacieux sans doute, mais d’une grande lourdeur, le baroque de l’entreprise échouant à maintenir la continuité qui permettrait d’apprécier ne serait-ce que les qualités de la pièce d’origine…
Cette obsession de la Seconde Guerre mondiale et en particulier de l’Holocauste, qui eut lieu – Les films le rappellent – sur le sol polonais, était déjà présente dans Salto. Sorti 24 ans plus tôt, le film est porté par la présence ultra-charismatique, bien que bedonnante, de Zbigniew Cybulski. Star en son pays, l’acteur au destin tragique, surnommé le James Dean polonais, joua dans Cendres et Diamant, l’un des meilleurs Wajda, et mourut dans la force de l’âge en tentant de sauter sur un train en mouvement. Prenant une forme kafkaïenne à la limite de l’absurde, Salto suit les pérégrinations d’un héros à deux noms, de retour dans un village où il aurait trouvé refuge pendant la guerre. À la recherche d’un passé qui chaque fois se dérobe, personne ne se souvenant de lui, la trajectoire du personnage conduit en creux une réflexion profondément stimulante sur la mémoire et la nécessité d’assumer le passé. Le film rappelle ainsi que, quand sa version officielle n’est pas tolérable, l’histoire est à construire, à interpeller sans cesse et à réinventer, sous peine de ne voir aucun avenir se profiler à l’horizon.
Mathieu Den Hartog
Fantomatique et carnavalesque
Avec quatre films nommés aux Oscars (The Promised Land, The Maids of Wilko, Man of Iron et Katyn), Andrzej Wajda est aujourd’hui l’un des cinéastes les plus reconnus et fertiles du cinéma polonais. Cette année, le festival Kinopolska a choisi de lui rendre hommage, dévoilant deux films méconnus du public français. Adapté de Stanislaw Wyspianski, dramaturge Polonais du début du 20e siècle, Les Noces (1972) reprend la structure de la pièce originale avec ses dialogues rapides, son jeu d’apparitions et de disparitions, ses allers retours entre le réel et le mythe, son absence de personnages centraux, la place clef du hors-champ, sa transe obsédante et sa cacophonie. Au beau milieu de nulle part, dans un Pologne marécageuse qu’aurait pu contaminer Lawa, Wajda brosse un mariage impeccablement désenchanté. En plein cœur de la fête, des spectres débarquent, immisçant dans les esprits grisés les graines de la révolte ; inconscient refoulé d’une Pologne ballottée entre la tentation de l’oubli, et la volonté de revenir sur son passé. Si le film impressionne vraiment, difficile néanmoins pour le spectateur non averti de tout cet humus historico-politique, de ne pas opposer quelques réserves à l’opacité du film et son carnavalesque.
Exactement trente ans plus tard, Wajda réalise un film beaucoup plus enjoué et piquant. La Revanche (2002), adaptation très fidèle d’une comédie populaire d’Aleksander Fredro (1834), offre une toute autre facette du cinéma de Wajda. Version polonaise et comique de Roméo et Juliette, le film met en scène l’affrontement de deux hommes au sein du château qu’ils partagent. Querelle à quoi s’ajoute un couple essayant de se réunir en cachette, et un combo de personnages aux traits exubérants et excentriques, agitant ce tableau d’une lutte dynamique, rythmée d’apartés burlesques. Le cinéaste offre une friandise sucrée et revigorante avec pour cerise sur le gâteau le personnage interprété par Roman Polanski, sorte de Sganarelle intrépide. Grâce à un casting malicieux, le cinéaste dépoussière non seulement deux chefs d’œuvre de la littérature polonaise, mais rappelle qu’il peut sautiller d’un registre à son opposé – habileté que peu de cinéastes de l’ex-URSS peuvent lui envier.
Aurore Matz
La jeunesse polonaise
S’il fallait dégager un seul fil conducteur pour naviguer dans cette sélection de classiques polonais, celui de la jeunesse serait sans doute le choix le plus judicieux. Romantique et rebelle à l’extrême dans Lawa, insouciante et joueuse avec les amants de La Revanche, hantée par le poids de l’histoire et de la guerre dans Les Noces ou chez le personnage de la jeune amante de Malinowski dans Salto, la jeunesse apparaît comme le véritable cœur thématique de la section classique. À ce titre, Le Dernier Jour de l’été, premier film de Konwicki, sûrement le meilleur de toute la sélection, concentre ces enjeux de façon admirable. Tourné dans des conditions presque amateurs avec seulement une caméra et deux acteurs dans un seul décor naturel, Le Dernier Jour de l’été dépeint la détresse de la jeunesse polonaise de l’après-guerre à travers une histoire d’amour aussi brève que douloureuse. Un jeune homme, sur une plage, s’approche d’une jeune femme. Tous deux sont seuls et tristes. Tous deux ont souffert, quoique sans doute pas pour les mêmes raisons. Alors que le dialogue semble tout d’abord impossible, ils se rapprochent, s’apprivoisent, parviennent à vivre un peu ensemble, au point de recréer un foyer de fortune dans le décor désertique de la plage abandonnée. La mise en scène de Konwicki brille par sa simplicité et un minimalisme extrême, tranchant de façon frappante avec la démesure de Lawa, son dernier film, pour instaurer un rythme lent, mais tendu, sensible, jusqu’au dénouement d’une noirceur et d’un désespoir absolus. Le tout magnifié par un plan final du large, engloutissant les deux amants brisés, à couper le souffle. Le jeune homme désenchanté, errant comme une âme en peine dans les ruines désertes d’une Pologne dévastée, incarne sa génération toute entière, décimée par la Guerre, traumatisée jusque dans ses relations sociales les plus naturelles. Totalement déboussolé, il ne sait comment exprimer ses sentiments, se comporte comme un enfant, pleurant ou jouant innocemment avec ce qui lui tombe sous la main : un tronc d’arbre rabougri, une grenade… Dans chaque geste, chaque motif, chaque situation, affleure tôt ou tard, mais avec une grande subtilité, le souvenir douloureux de l’horreur, que Konwicki filme d’un regard attendri, visiblement ému, mais profondément pessimiste – s’il parvient à peindre le portrait de la jeunesse polonaise d’après-guerre, son œuvre est d’une pureté et d’une sensibilité telles que, s’élevant au-delà de l’opacité culturelle que l’on pouvait constater dans l’appréhension des autres classiques de cette sélection, elle finit par toucher à l’universel.
Martin Jauvat