Le festival Côté Court présentait cette année encore un large éventail de films (plus d’une centaine), donnant un aperçu du court métrage dans toute sa diversité. S’il n’était pas toujours aisé de saisir la logique inhérente à certains programmes, force est de constater que le mélange n’était jamais aussi fructueux que lorsqu’il s’effectuait à l’intérieur même des films. Les meilleurs courts métrages de la sélection embrassaient ainsi des contours hybrides, jonglant habilement entre les genres, les formes et les tons.
Entre deux âges
Plusieurs films mettaient en avant des personnages composites, à la lisière entre deux âges. La façon dont D’un château l’autre de Emmanuel Marre oscille entre fiction et documentaire, mais aussi pellicule et vidéo, n’est pas sans rappeler les hésitations de son personnage, Pierre, lors des présidentielles de 2017. Cet étudiant d’une vingtaine d’années incarne à merveille la perte de repères qui s’empare de la jeunesse à l’âge où l’on commence à devoir faire des choix mais où aucune option ne paraît réellement satisfaisante. Il forme avec Francine, la dame de 75 ans chez qui il loge, un couple inhabituel mais solide : s’il se distingue par son caractère doux et flottant et elle par son fort tempérament, les rôles s’inversent pourtant à plusieurs reprises, créant ainsi un équilibre dans leur relation. La beauté du film est de saisir cette météorologie des sentiments à un niveau infinitésimal, qu’il s’agisse de la main maladroite que pose Pierre sur l’épaule de Francine pour la consoler ou des larmes que l’on sent poindre dans son regard, lorsque seul parmi la foule en liesse, il assiste impuissant à la victoire d’Emmanuel Macron : de brefs éclairs, derrière lesquels on devine à chaque fois de grandes tempêtes intérieures. Mathilde, l’héroïne de Plein Ouest d’Alice Douard, se situe quant à elle au seuil de l’enfance et de l’adolescence. Les frontières se troublent lorsque les jeux innocents auxquels elle se livre avec son ami Simon deviennent coupables aux yeux du père, persuadé un instant qu’il s’est passé quelque chose entre eux. Mathilde, enfant sauvage qui n’a pas peur des méduses et rit en voyant du sang s’écouler de son nez, prend tout à coup conscience de son corps et du désir qu’il peut susciter. Elle qui se montrait si libre en présence de son ami Simon se met à devenir pudique, jusqu’à ce qu’un événement restaure leur complicité enfantine dans la scène finale. Ce sont ces allers retours entre deux âges, mais aussi le rapport complexe à une féminité qui ne va pas de soi, qu’enregistrent avec subtilité la caméra d’Alice Douard.
Plein Ouest d’Alice Douard
Bestiaire
Les films de la sélection étaient par ailleurs peuplés d’animaux en tout genre (cerfs, méduses, chats, vaches, fouines…) posant à chaque fois la question de leurs rapports avec les humains. Dans certains cas, ils jouent un rôle fédérateur en reliant des êtres isolés, qui peuvent alors mener une vie plus heureuse. Le Chien Bleu de Fanny Liatard et Jérémy Trouilh permet ainsi à Yoan de se rapprocher de Soraya, une jeune danseuse, et à son père dépressif, Émile, de sortir de chez lui. Ce dernier a peur de toutes les couleurs (du monde, en réalité) sauf du bleu, auquel il accorde une valeur protectrice et dont il recouvre tout, du chien aux murs de son appartement. À l’intérieur, la couleur envahit le cadre et se fait la manifestation concrète de son angoisse débordante, alors qu’à l’extérieur elle apparaît par touches (le chien, le châle de Soraya) et se voit ainsi relativisée. L’importance qu’elle revêt amuse par son caractère absurde (le personnage va jusqu’à écouter Les Mots Bleus de Christophe) autant qu’elle émeut par la détresse qu’elle dissimule en creux. Le même humour teinté de mélancolie caractérise A Priori Sauvage de Romain André dans lequel Jean-Marc, insomniaque, se plaint par mail à Aurélie, employée de la mairie de Montreuil, qu’une fouine rôde la nuit et l’empêche de trouver le sommeil. Si la forme épistolaire peut d’abord faire craindre une certaine monotonie, A Priori sauvage ménage au contraire une belle progression : Jean-Marc se rapproche d’Aurélie à mesure qu’il se prend d’affection pour la fouine. L’animal permet ainsi de relier des vies atomisées par la ville qui, la nuit, change de visage pour devenir une jungle déserte et silencieuse où les humains, au contact des animaux, réapprennent à communiquer entre eux.
Chien bleu de Fanny Liatard et Jérémy Trouilh
D’un registre l’autre
Quentin Dolmaire faisait de son côté montre de sa capacité à passer d’un registre à l’autre en jouant dans deux courts métrages très différents. Dans Les Choses du dimanche de Thomas Petit, il campe Alban, un jeune homme secrètement amoureux de son ami Nassim. Cette comédie romantique se distingue avant tout par son sens du détail : il suffit ainsi d’un plan sur un lit vide, où se logeait l’être aimé quelques heures auparavant, pour suggérer toute la douleur que génère son absence. Une dispute absurde entre les deux amis à propos d’un sandwich permet également, grâce à une belle écriture du non-dit, de faire éclater à la surface une tension sous-jacente. Aussi simple que les accords de guitare qui ponctuent le film, Les Choses du dimanche rend palpable l’atmosphère d’un lendemain de soirée où, baignées dans un soleil d’hiver, les choses apparaissent à la fois douces et amères. Quentin Dolmaire jouait également dans L’Autre sur ma tête de Julie Colly, à mi-chemin entre le fantastique grotesque de Nicolas Gogol et le cinéma de Bertrand Mandico. Le film narre la rencontre amoureuse de deux marginaux, que leurs particularités physiques obligent à vivre cachés : Nanni (Quentin Dolmaire), qui se réveille affublé d’un curieux attribut floral à la place du nez, et Alouette (Lilith Grasmug), méduse moderne pétrifiant les garçons qui aiment un peu trop regarder sous les jupes des filles. Le coup de foudre a lieu dans le parc des Buttes-Chaumont, métamorphosé pour l’occasion en une jungle féerique, avec une économie de moyens étonnante. Le film offre également de beaux éclats comme cette séquence d’ébats floraux sur fond noir, image emblématique de l’humour fantasque par lequel il séduit.