Malicieuse initiative de sortir au mois de janvier un tandem de courts-métrages prenant place pendant les grandes vacances et réunis sous le titre Les Films de l’été. Œuvres de deux réalisateurs belges wallons, Rien sauf l’été de Claude Schmitz et Le Film de l’été d’Emmanuel Marre présentent quelques traits communs qui ressemblent à un début de charte narrative qu’on tâcherait d’appliquer aux chroniques de cette période communément associée à une parenthèse de chaleur, d’insouciance et de régression : un cadre en 4/3 créant une double sensation d’intimité et d’antiquité de l’image (le premier film a même été tourné avec une vieille caméra à tubes, générant une certaine patine dans le grain), des tournages au scénario improvisé en dirigeant « librement » des comédiens parfois non professionnels, un début sur une arrivée et une fin sur un départ, des scènes fragmentaires au milieu. Si la communauté d’inspiration intrigue, on espère tout de même ne pas assister là à la constitution d’un certain académisme du « film de vacances » lointainement influencé par Jacques Rozier (Du côté d’Orouët). Dans le doute, les deux films intéressent par les divergences de leurs façons respectives d’envisager cette parenthèse.
Le voyage ou le surplace
Le Film de l’été d’Emmanuel Marre, on le connaît un peu : on l’a déjà rencontré, à la dernière édition du festival Côté Court où il s’est vu décerner le Prix du Public. L’improvisation a ici conduit à un road-movie : sur l’autoroute, tandis qu’un père divorcé cherche la rencontre, son petit garçon qui l’accompagne et un compagnon de route se lient d’amitié, ce dernier trouvant là un dérivatif à son caractère dépressif et ses tendances suicidaires. Des deux réalisateurs, Marre est celui qui a désiré élaborer une histoire, où la parenthèse estivale serait toute entière caractérisée dans un voyage. La méthode pour y parvenir produit un récit jouant sur son aspect de collage bout à bout de petites scènes, avec son lot d’ellipses et de non-dits, simulant l’enchaînement de fragments d’anecdotes où l’important se distillerait dans les interstices. C’est habilement mené, et cela fonctionne d’autant mieux que ce travail sur les petites failles du récit résonne jusque dans la différence de taille, mise en exergue par le cadre 4/3, entre l’enfant et l’ami désireux de se lier. Pendant ce temps, un bruit de fond, le grondement de l’autoroute, vient napper les anecdotes d’une monotonie trompeuse qui ne saurait camoufler tout à fait la mélancolie de l’intime.
Dans Rien sur l’été, c’est le chant des cigales qui fournit un bruit de fond aux fonctions plus décoratives. Cependant, à l’histoire de voyage à laquelle Marre résume les grandes vacances, Claude Schmitz oppose une narration aux allures de surplace, tournant dans le même territoire – géographique et humain – en brouillant la temporalité à l’intérieur d’un intervalle, l’arrivée et le départ d’un jeune Bruxellois dans un château ouvert comme maison d’hôtes à la campagne. Pénétrant sur les lieux avec le personnage, la caméra (dont le grain particulier atténue les reliefs et invite à une perception impressionniste de l’image) passe et repasse dans le bâtiment et ses alentours d’un groupe de personnages – pensionnaires ou voisins – à l’autre, saisit des bribes de conversations et d’activités présentes (certaines moins vacancières que d’autres), laisse deviner des récits possibles hors du territoire, divague un peu parfois (cette scène étrange de la jeune femme inconnue tenant un fusil). À l’image de ce cycliste qu’on voit tourner deux fois autour d’un groupe, le film dessine les vacances d’été comme un moment où l’on bouge certes, mais où le mouvement est relatif puisqu’il s’inscrit, au fond, dans un ou des cycles (ceux dessinés par les va-et-vient dans une zone, celui du départ et du retour au travail, celui de la périodicité des vacances). À rebours du cliché des histoires qui se noueraient dans cet intervalle, il préfère dépeindre celui-ci comme un temps de convergence d’histoires dont on ignorera quand elles ont commencé auparavant et quand elles s’achèveront après – une collection d’instantanés, une figuration de la vie par une série de mises en pause, un temps où il est bon de ne pas se soucier d’avancer.