Cette année, la Corée du Sud a payé leur billet d’avion à trois représentants de poids, dont Park Chan-wook en compétition officielle et Hong Sang-soo à la Quinzaine des Réalisateurs. Des trois compatriotes, Bong Joon-ho qui présentait son quatrième long-métrage, Mother, dans le cadre de la sélection Un Certain Regard, s’est imposé avec le plus de force. Bong Joon-ho est un cinéaste passionnant et ses films de véritables pochettes surprises, gonflées à bloc, enthousiasmantes. Il nourrit, semble-t-il, un goût boulimique de l’hétérogénéité, du disparate qui le conduit, dans ses fictions, à tenter une foule de raccords impossibles. On y trouve de tout : des enquêtes policières, du mélodrame, de l’action, de l’horreur, de la psychologie. Des monstres, des serial-killers, des flics corrompus, des demeurés, des pères, des mères, des frères et des sœurs. Il sait à la fois rassembler tous les éléments nécessaires pour constituer le fantasme absolu du film de genre et garder assez d’irrévérence envers ses codes, assez d’agilité pour les contourner, afin de rester toujours surprenant, toujours nouveau. Son précédent long-métrage, The Host, était pour la fiction populaire à grand spectacle une sorte d’accomplissement inespéré, une formule idéale qui faisait le grand écart entre exigence artistique, émotion intense et fun total. Mother ralentit quelque peu la vapeur et rejoint le genre plus restreint du whodunnit déglingué à la Memories of Murder (deuxième film du cinéaste).
Do-joon est un grand benêt de vingt-huit ans, influençable et, par conséquent, toujours susceptible de se fourrer dans de sales draps. Sa mère en est consciente et le couve d’autant plus qu’elle soigne en cela une vieille culpabilité (mystère). Do-joon, qui se trouvait dans les parages au mauvais moment, se retrouve salement impliqué dans le meurtre d’une jeune fille. Face à une police délétère pressée de classer l’affaire, à qui Do-joon s’offre comme le (seul) coupable idéal et flanquée d’un avocat incompétent, la mère, soutenue par l’intime conviction de l’innocence de son fils, se charge elle-même de mener l’enquête. 1ère étape : Bong Joon-ho nous confronte à une galerie de personnages tordus, dingues durs, pas forcément attachants mais dont la complexité et l’absence totale de manichéisme dans la caractérisation retiennent l’attention. On se demande comment ça va continuer. 2ème étape : Le cinéaste place un personnage faible en apparence – une mère pauvre et déjà âgée – dans une situation qui paraît inextricable – enrayer la machine judiciaire, lui faire faire marche arrière. Seule contre le Golgotha. 3ème étape : Une force de conservation extraordinaire – ici, l’instinct maternel – déjoue tous les pièges de l’administration, mais aussi les codes du polar, les clichés en vigueur et les convenances attendues du récit. Grâce à cela, le film ne se livre à aucun moment à un dithyrambe débile de l’amour maternel : il en admire la force mais ne se cache pas non plus ses fins mortifères, voire criminelles, son hybris délirant. L’enquête se résout en une sorte de pied de nez génial où la relation fusionnelle mère-fils est renvoyée à sa sordide réalité. Très, très recommandable.