Parasite n’est pas un mauvais film, loin de là, mais il déçoit un peu au regard de ce qu’il met en place – un jeu de stratifications sociales et spatiales dans une maison bourgeoise – et de ce qu’il peine à finalement atteindre – une épaisseur qui irait au-delà d’un quadrillage topographique joueur et bien tenu. Le film est à son meilleur lorsqu’il dépeint les manigances et la conquête de la maison par une fratrie désargentée dont chaque membre (le fils, sa sœur, le père et enfin la mère) joue d’astuce et de duplicité pour prendre possession d’un poste clef (tuteurs des enfants, chauffeur et gouvernante) au sein d’un foyer quant à lui très aisé. Bong Joon-ho fait alors un peu plus que livrer une allégorie assez balisée des disparités sociales de la Corée du Sud (« C’est tellement métaphorique » répète le fils, comme pour conjurer les arrêtes saillantes de la démonstration) et filme une intelligence collective en action. Si on voit bien où le cinéaste veut en venir – les personnages sont des cafards tapis dans l’ombre qui occupent secrètement les recoins d’une structure –, il n’en fait pas moins preuve d’un certain talent pour dessiner des rapports de force, tracer la « ligne » que le père de famille ne veut pas que ses subalternes « franchissent », exploiter les recoins qui donnent à la maison sa singularité. On peut toutefois regretter que la mise en scène de la manipulation, qui revient à tisser dans un espace une toile d’araignée, cède la place à un redoublement métaphorique par l’apparition, sans trop déflorer les rebondissements du film, d’autres « parasites ».
Le nœud du film tient au fond à ceci : plus il cherche à creuser en profondeur sa fable et son espace, plus son propos apparaît d’une limpidité un peu gênante. Le récit a beau toujours ménager des problèmes spatiaux que la mise en scène doit résoudre – par exemple, tout ce qui découle du retour prématuré des propriétaires un soir de pluie –, on s’étonne un peu qu’il ne converge que vers un retour du refoulé assez littéral, télescopant le surgissement d’un « fantôme » avec le débordement d’une rivière. Bong Joon-ho a toujours eu la main assez lourde sur le terrain de la satire et de la charge politique, comme en témoigne ce que le film organise autour de la figure de l’indien, symbole de l’influence américaine sur les élites coréennes mais aussi incarnation d’une violence, fruit de l’exploitation, contenue trop longtemps et qui ne peut que refluer. La saleté et surtout l’odeur remontent à la surface, le sang éclabousse la blancheur proprette de la bourgeoisie, et c’est sa mauvaise conscience (une cavité cachée par « honte ») qui fait office de catalyseur. Travail sérieux et rigoureux, pas dénué de subtilité ici et là, mais tout de même, on s’interroge : tout ça pour ça ?