À Cannes, le manque de sommeil est un ennemi redoutable. Il frappe sans crier gare et impose indifféremment sa censure arbitraire au milieu des bons ou des mauvais films. Le critique exténué doit bien faire avec et, en dépit des trous noirs, veiller à ne pas émettre à son retour un jugement par trop définitif. Je dois donc l’avouer : j’ai un peu dormi au bout d’une heure et quart du dernier Hong Sang-soo présenté à la Quinzaine des Réalisateurs, cinéaste aimé et donc peu enclin à m’ennuyer, quoi qu’il arrive. Je tiens quand même à rassurer le lecteur : mon coma ne dura pas plus d’un quart d’heure sur un film d’une durée de deux heures et six minutes, soit à peine 12% du film. Il ne se sentira donc pas floué d’un trop gros pourcentage d’objectivité. Tout ce que je me risquerai à affirmer, c’est que Like You Know It All ne dépareille pas de l’œuvre du cinéaste coréen. Il procure tous les habituels plaisirs de ses comédies de la veulerie, tout en portant sur ses personnages le même regard doux-amer, soutenu par un gouffre de désespoir. Mais qu’il « ne dépareille pas » signifie aussi qu’il frôle souvent la redite et parfois s’y englue complètement. Rien de nouveau sous le soleil des échecs, de la déprime et de la lâcheté ordinaires. Cela frappe d’autant plus qu’après les prises de risque des récents Night & Day et Woman on the Beach (très beau), payantes puisque le cinéaste avait grâce à elles, par petites pointes, redonné un nouvel élan à son travail, on revient ici à une forme plus brutale – faite de zooms violents, de recadrages intempestifs et de surexpositions jaunissantes – qui était déjà celle de Conte de cinéma, dont la troublante similitude ne s’arrête pas là. Hong Sang-soo nous livre un récit plié en deux, où chaque partie, face à face, lance vers l’autre de délicates passerelles. Dans la première, un cinéaste est invité par un festival à remplir le rôle de juré, dont il va bien peu consciencieusement s’acquitter ; dans la seconde, le même personnage se rend dans une école de cinéma pour présenter son travail aux étudiants. Dans chaque situation, il rencontre de vieilles connaissances qui le mettent systématiquement au pied du mur et percent à jour les petits arrangements mensongers avec son amour-propre. Il s’en suit tout un ensemble de situations absurdes, grotesques, voire carrément humiliantes qui dessinent depuis maintenant plus de dix ans la cartographie complexe et savoureuse de ce cinéma. Bah, après tout, pourquoi bouder son plaisir ? On n’empêche pas les peintres de recommencer cent fois la même toile.