Littéralement borné par deux plans qui se répondent – le premier ouvre le film et montre quatre nouveau-nés braillards sur un chariot de clinique, le second, juste avant l’épilogue, aligne quatre chiots en train de téter leur mère, dans le cabinet d’un vétérinaire – Ayka cède encore, comme de nombreuses œuvres en compétition (Dogman, Les Filles du soleil, BlacKkKlansman) à une structure programmatique. Tout est là, dans cette comparaison grossière entre le traitement sans pitié infligé au genre humain et celui, doux et bienveillant que l’on ferait aux animaux. Le propos ne fait pas dans la dentelle, la mise en scène non plus. Invité de dernière minute, le nouveau long-métrage de Sergey Dvortsevoy (récipiendaire du prix Un Certain Regard en 2008 avec Tulpan) avait forcément une originalité ou une force visuelle importante pour débarquer par surprise sur le tapis rouge : cadre très resserré sur les personnages, caméra porté toujours en alerte et qui suit l’héroïne à la trace, champ obstrué par des corps, des objets des murs ou de la neige et saturation de l’espace sonore, on est projeté en terrain connu dans un réalisme d’immersion qui a fait ses preuves dans le passé à Cannes, de Rosetta au Fils de Saul. D’abord saisissant, le film donne la nausée à force de tout brutaliser à outrance, de son actrice au spectateur.
Ce que fait subir Dvortsevoy à la fois à son personnage-titre et à sa courageuse comédienne (Samal Esljamova) est une épreuve permanente – maltraitance physique, douleurs et dilemme moraux – tant est si bien que la litanie vire très vite au chemin de croix putassier : accouchement expéditif, abandon de nourrisson, montées de lait douloureuses dans la poitrine, humiliations sociales (des insultes en entretiens d’embauche au nettoyage d’excréments canins à quatre pattes sur le carrelage, pendant la consultation du vétérinaire), menaces de mort de la mafia locale, vente d’enfant en guise de recouvrement de dette… L’oppression de la forme et l’acharnement à martyriser un corps féminin et prolétaire, complètement livré à lui-même dans un monde – Moscou, pendant une tempête de neige – forcément hostile et dangereux, partout et tout le temps, atteste de la bêtise d’Ayka, confondant objet et moyens, dénonçant explicitement les tombereaux de violences qui s’abattent sur les populations au bas de l’échelle tout n’en perdant pas une miette au montage, prétextant retranscrire la cruauté de la misère du monde tout en ne crachant pas sur les bénéfices de son exposition sur grand écran.
Dvortsevoy avait pourtant matière pour un tout autre travail : l’impressionnante narration au présent qui épuise les séquences et les corps dans des plans-séquences claustrophobiques traduit une vitalité grouillante, constamment en mutation – dans les espaces les plus confinés, les personnages se redéploient sans cesse, comblent le moindre appel d’air et renforçant ainsi l’asphyxiant dispositif. Il est dommageable qu’une telle virtuosité dans un cinéma de l’instant ne débouche que sur une démonstration d’accablement.