Par son titre d’une banalité presque naïve, Joueurs laisse imaginer quelques instants un film délicat et peu sûr de lui. Cela ne dure pas. Pire, dès le générique chromé, on entend vrombir les moteurs de la grosse cylindrée à venir et s’ouvre devant nous, le prisme esthétique si caractéristique du néo-noir, le polar moderne bien de chez nous, dans le sillage du cinéma de Jacques Audiard dégradé. Le style est si caricatural qu’il pourrait être résumé par une recette et se superposer sur l’argument du premier film de Marie Monge. D’abord une romance cabossée, souvent outrancière et déséquilibrée : Abel, joué par Tahar Rahim, dragueur charismatique, simiesque mais impulsif et violent, embobine la jolie et coincée Ella, incarnée par Stacy Martin, parfaite dans le rôle de l’oie blanche transparente. Ensuite, un milieu social obscur que l’on investit, dont on pointe la dureté et révèle les zones d’ombre : le jeune homme initie sa conquête à son addiction, les jeux d’argent, dans des tripots clandestins de Belleville où la pègre locale côtoie l’immigration prolétaire chinoise. Enfin, on mélange le tout dans un film mafieux gros bras où les dettes se règlent à mains armées et les sentiments amoureux sont violentés mais « plus forts que tout ».
Derrière l’ironie désespérée de ces correspondances, se déploie une vision du monde qui ne sent pas très bon tant le genre semble ici le cache-misère parfait pour camoufler des fantasmes sociologiques les plus éculés. Dans le sillage de son personnage maghrébin, hâbleur et roublard, en proie à des accès de violences surtout envers les femmes, le film pose explicitement la corrélation entre jeu, risque et libido dans une série de montages alternés consternants de vulgarité et de lourdeur. Plus regrettable encore, il se complaît dans une orgie de fausse virtuosité, dans une accélération permanente qui ne se pose pas la question de distance minimale. Joueurs se vautre dans la boue d’un cinéma perfusé aux dorures et à l’apparat du style, laissant ses personnages tous plus hébétés les uns que les autres se faire engloutir avant de pouvoir les rabrouer à sa guise. Car, comme dans tout pensum moraliste, à la fin, il faut payer. Et c’est le personnage féminin qui morfle : de la trahison amoureuse aux humiliations à la chaîne, jusqu’aux coups qui pleuvent, le film n’y va pas de main morte sur le corps frêle de Stacy Martin, comme pour encore plus souligner sa filiation au néo-noir en appuyant le virilisme inhérent au genre.
Il faut dire aussi que ce premier long n’avait pas besoin de se cramponner à ses douteux modèles pour exaspérer : la direction d’acteur calamiteuse (Tahar Rahim en cabotin en fait des tonnes quand Stacy Martin ne peut lui répondre que par un jeu très affecté) ferait presque dérailler le film pour en dévoiler toute la teneur parodique. Non, les nombreuses fautes de goût confinent au ridicule : le romantisme dégoulinant qui vient clore le film se rêve ardent (le titre international est le modeste Treat Me Like Fire), il accable un film rance depuis son démarrage.