L’hybridité du deuxième long-métrage de la jeune réalisatrice brésilienne Beatriz Seigner semble renforcer l’idée qu’il existe une porosité étonnante entre deux cinématographies géographiquement éloignées : Los Silencios s’ancre profondément dans une esthétique latino-américaine, teintée de motifs sociaux et de saillies merveilleuses – dans la lignée directe du réalisme magique – et emprunte sûrement au rythme patient et hypnotique qui fonde de nombreuses œuvres du sud-est asiatique, en provenance de Taïwan, de Thaïlande ou des Philippines. Au cœur de ce rapprochement, un lieu en commun : la jungle. En suivant l’installation de migrants colombien dans un village de l’Amazonie brésilienne, Seigner use de l’immensité verdoyante comme d’un lieu clos, permettant d’une part l’observation ethnographique d’une communauté, et de l’autre la convocation du fantastique, qui surgit de la pénombre pour offrir une ligne de fuite.
Car ce qui surprend et bouleverse ici, c’est la manière dont la jeune réalisatrice laisse en chemin toutes les traces d’un cinéma réaliste à ambition documentaire pour l’épurer à mesure que le film s’enfonce vers son véritable nœud : le deuil. Longtemps, Los Silencios s’attache à chroniquer le quotidien d’une mère et de ses deux enfants, les premiers jours de l’exil forcé, les âpres négociations administratives, les jalousies des autochtones, le douloureux souvenir d’un mari et d’un père officiellement disparu. Si l’aspect consciencieux – voire laborieux – de cette première partie donne l’impression d’un catalogue d’obstacles arbitraires, il se révèle être, dans un second temps, un formidable socle narratif. La sérénité imperturbable du film lui permet de muer dans de longs plans fixes envoûtant par le calme qui règne et les mille et un sons de la jungle qui crépitent. À la faveur d’ellipses, Seigner dissimule dans cette envoûtante monotonie les éléments clefs du mystère et prépare le contournement du récit : la silhouette du père dans la maison qui parle mais ne peut interagir, la petite fille qu’on oublie de présenter lors de son arrivée à l’école, etc. On reste alors ébahis devant la somptueuse dernière demi-heure qui, par petites touches de couleurs, matérialise les présences qui hantaient le film et l’empêchaient d’éclore. S’affirme alors une œuvre sensitive et voluptueuse, presque liquide – le motif aquatique est présent partout – qui, face aux impasses du réel, prend un chemin de traverse et vient régler sa dette mystique, le temps d’une cérémonie fluorescente hors du temps.