Rafiki, premier film kényan présenté à Un Certain Regard, s’inscrit à la croisée de deux genres largement investis dans la fiction contemporaine : le coming of age movie et la romance interdite (ici, deux jeunes filles qui tombent amoureuses l’une de l’autre dans une société religieuse et homophobe). Il y a une forme de paradoxe dans la manière dont le film doit sa singularité à son ancrage territorial et culturel alors même que son désir et son esthétique trouvent leurs racines dans les codes d’un certain cinéma américain indépendant. Un exemple, un seul : il s’agit du tout premier plan, qui met en scène une adolescente, Kena, descendant une rue de son quartier sur sa planche de skate. Le soleil irradie son visage, ses yeux révèlent leur éclat sur l’azur du ciel : ce plan-là, vu entre autres chez Gus Van Sant, témoigne d’une approche des affects qui tombe parfois dans une imagerie affectée, abondant de flous et de poses séductrices — cf. ici deux scènes de clips qui brassent et compilent des plans ramenés à une seule tonalité (en l’occurrence, le bonheur d’être à deux).
Pour autant, quelque chose résiste à l’intérieur de l’approche académique, quelque chose qui tient à la confrontation de deux corps pris d’ivresse et qui palpitent au contact l’un de l’autre. Une bouche entrouverte, un œil qui brille un peu trop, un sourire qui se dessine : le trouble du désir doit davantage aux deux interprètes qu’aux différentes stratégies mises en place par la réalisatrice, entre montage désynchronisé et saillies musicales. Reste que le film pose une question, la même qui vient à l’esprit devant le film d’ouverture de la Quinzaine des réalisateurs, Les Oiseaux de passage : au-delà de l’exotisme, quelle est la valeur intrinsèque de ces films dans leur démarche commune d’embrasser et de réinvestir un territoire de cinéma bien connu ? On pourrait se réjouir de cette diversité si les films exploraient de manière réellement nouvelle leur sujet respectif.