Domingo (Carlos Ureña) est un vieil homme vivant dans les montagnes tropicales du Costa Rica. Sorte de sage local souvent sollicité par les autochtones, il s’oppose farouchement à la construction d’une autoroute et a pour trait singulier de s’adresser régulièrement à la brume avoisinante comme s’il s’agissait d’une entité vivante . La beauté du film tient à la façon dont il met en scène cette relation sans se restreindre à la seule perspective de Domingo, comme en témoigne le travelling avant par lequel la brume apparaît pour la première fois et qui semble figurer son point de vue. Ariel Escalante Meza excelle à en faire un élément transfigurant les paysages, qu’il filme dans de majestueux plans larges auxquels sa présence confère une texture quasiment picturale. Mais la brume apparaît aussi comme un sujet à part entière, puisque le cinéaste va jusqu’à lui prêter une voix. Ce parti pris semble d’abord lui conférer une existence autonome : quand elle s’adresse à Domingo, ce dernier ne lui répond jamais, comme s’il ne l’entendait pas. Cette asymétrie, combinée au fait que le vieil homme dit ne pas vouloir quitter sa maison pour rester avec sa femme, pourtant morte, dessine plusieurs hypothèses. Peut-être s’adresse-t-il en vérité à elle lorsqu’il parle à la brume ; peut-être aussi qu’une véritable métempsychose s’est produite et que la défunte est devenue cette entité vaporeuse. Authentiquement fantastique dans son souci de ne jamais trancher, le récit envisage ses pistes narratives comme autant de mondes possibles ; à chacun correspond un certain mode de cohabitation horizontale entre les êtres et les choses.
Le film intrigue particulièrement par la manière dont il raconte le désir, manifeste chez Domingo, d’opérer un retour à la nature. La brume constitue alors un moyen de se recueillir à l’abri du monde humain, plutôt que de s’en évader. Aux longs plans fixes et surcadrés, dans lesquels se déroulent les interactions souvent verrouillées avec les autres personnages, s’opposent les séquences filmées en extérieur, en particulier au cœur de la brume. Le cadre s’y élargit souvent, comme si Domingo pouvait de nouveau pleinement respirer. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que le vieillard se résolve progressivement à quitter les humains pour se fondre dans la forêt. Meza prend l’idée au pied de la lettre dans une scène onirique qui acte la dissolution du personnage. La manière dont il s’y prend s’avère plutôt fine : soucieuse de symétriser l’humain et le non-humain tout en préservant leur altérité, la scène pointe au passage les apories auxquelles mène ce fantasme. Que l’on ne s’y trompe pas : Domingo et la brume raconte bien plus la fin d’un monde qu’il ne prétend esquisser les contours d’un nouveau.