Après Un grand voyage vers la nuit, Bi Gan revient à Cannes avec un court-métrage de quinze minutes, Une histoire courte, publicité commandée par la marque de produits pour félins Pidan. Constitué de petites scènes évoquant Le Magicien d’Oz, le film suit la déambulation d’un chat noir déguisé en épouvantail, qui va croiser sur son chemin plusieurs figures excentriques : un androïde défectueux dans un orphelinat abandonné, une femme rongée par le chagrin dans un lugubre appartement, puis un magicien interprété par Chen Yongzhong, acteur fétiche du cinéaste. Au programme, pas de travelling délirant ou de long plan-séquence, mais une série de visions qui, dans la lignée de ses précédents courts, offrent à Bi Gan l’occasion de mettre en scène plusieurs revirements spatio-temporels : ici un superbe plan où la porte d’un appartement s’ouvre sur une voie ferrée et révèle que l’édifice se trouve en fait à bord d’un train en marche, là une drôle de séquence qui défile à l’envers durant laquelle un personnage s’exprime comme s’il était dans la black lodge de Twin Peaks.
On retrouve ce qui fait en partie la singularité du cinéma de Bi Gan – un sens aigu de la composition, un approche mélièsienne des effets visuels, une certaine légèreté dans la façon d’aborder l’expérimentation comme un jeu d’enfant –, mais aussi ce qui témoigne de ses limites : il se commente surtout lui-même. Surcadrages, caméra installée dans la cabine d’un téléphérique, acteurs automates ou magiciens, surimpressions sur la rétine d’un œil filmé en gros plan : chaque nouveau dispositif renvoie à notre position de spectateur embarqué sur un rail, le long d’un trajet toutefois trop prévisible où se multiplient les mises en abyme sur le cinéma et sa dimension magique (le film se conclut comme un numéro de prestidigitateur, avec l’envol d’un chapeau). Sans être dénué d’inspiration, ce nouveau « tour » rappelle que, pour l’instant, le travail de Bi Gan convainc surtout lorsqu’il se déploie sur une longue durée. Ici, le voyage paraît un poil trop succinct et resserré pour nous emporter.