À quarante-huit ans, Ethéro (Eka Chavleishvili) n’a jamais connu de relations amoureuses. Étreinte par la solitude, elle se terre dans sa maison comme sous une carapace, jusqu’au jour où elle manque de se tuer en tombant dans un ravin. Ethéro décide alors de ne pas rester plus longtemps dans l’ignorance et débute une idylle avec Mourmane (Teimuraz Chinchinadze), accédant en différé à la légèreté d’une passion adolescente. Le découpage minimal d’Elene Naveriani, au diapason du dépouillement des décors et du mutisme d’Ethéro, fait alors preuve d’une grande délicatesse : la simplicité de la mise en scène, si elle joue parfois contre le film qui semble souvent s’éterniser, parvient à installer une frontalité pudique lorsqu’elle se concentre sur la vie intime des personnages, embrassant sans détour les scènes d’amour et les corps vieillissants (souvent dévoilés en bord de cadre, dans l’obscurité ou à travers des miroirs pour ménager une distance respectueuse).
Alors que sa vie était pilotée jusqu’ici par son père et son frère autoritaires, l’acceptation de ses désirs par Ethéro va de pair avec une forme de reprise de contrôle : d’ordinaire taiseuse, elle entreprend de raconter des histoires à ses amies, que la caméra évince progressivement du cadre pour faire des spectateurs son premier auditoire. Si elles provoquent l’adhésion du groupe, ces anecdotes demeurent cependant des récits d’enfance ; bien qu’Ethéro accède à une intimité jusqu’ici inconnue, elle reste prisonnière des entraves de son passé difficile. L’une des qualités de Blackbird Blackbird Blackberry est de ne pas plonger dans l’émerveillement ou l’apitoiement, mais de plutôt maintenir une douceur en demi-teinte ⎼ soulignée par un dernier mouvement en apparence plus tragique. Un détail ne trompe pas : bien qu’Ethéro trouve une seconde jeunesse dans son idylle inattendue, les mûres, qu’elle chérissait jadis et cueille plusieurs fois dans le film, n’ont plus tout à fait la même saveur que quand elle était petite.