Rien à perdre suit l’engrenage administratif dans lequel se retrouve piégée Sylvie (Virginie Efira), mère célibataire et surmenée dont le fils Sofiane (Alexis Tonetti) est victime d’un accident domestique en son absence. Les services de l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE) viennent alors chercher l’enfant pour le placer en foyer d’accueil, avant que les choses n’empirent inexorablement. Assez efficace, le scénario dessine un cercle vicieux : le remède (la séparation de l’enfant et la mère) étant pire que le mal (un incident isolé dans une famille globalement fonctionnelle), chaque nouvelle étape dans la prise en charge de Sofiane aggrave un peu plus l’état psychique de Sylvie. L’irruption énigmatique et brutale de l’événement perturbateur s’avère d’autant plus kafkaïen qu’il s’agit, comme dans les romans de l’auteur, de filmer une bureaucratie incapable de prendre en charge la complexité du monde vécu.
Dans ses meilleurs moments, Rien à perdre semble s’appuyer sur un solide travail d’enquête. En témoignent notamment les scènes étonnantes où l’on découvre un groupe de parole dédié aux parents dont les enfants ont été placés, et une volonté de symétriser les points de vue dans l’écriture des dialogues. Le personnel de l’ASE dit à plusieurs reprises défendre « l’intérêt de l’enfant » et mettent en avant les insuffisances réelles de l’éducation prodiguée par Sylvie. Si l’on comprend donc que Delphine Deloget n’entend pas cibler des responsabilités personnelles, mais pointer l’essoufflement d’un système d’aides mal armé pour répondre à la misère du monde, le film ressemble hélas trop souvent à un drame social en pilotage automatique. La faute d’abord à une mise en scène qui, sous couvert d’immersion en caméra portée, ne laisse aucune séquence déborder. Les coutures parfois trop visibles du récit n’en ressortent que plus nettement, à commencer par une tendance répétée à la surenchère dans l’écriture des scènes : certaines finissent par dégénérer un peu trop mécaniquement (même les amis de Sylvie se disputent assez violemment dans une séquence où rien ne semblait y inviter), tandis que la performance glaciale d’India Hair dans le rôle de l’assistante sociale fait tomber le film dans manichéisme.