Avant Film annonce du film qui n’existera jamais : « Drôles de guerres » était projeté, dans la salle Debussy qu’affectionnait JLG, Godard par Godard, documentaire télé qui retrace la filmographie du cinéaste. Enfin, en partie : l’énumération des films et de ses coups de forces médiatiques s’arrête à Autoportrait de décembre. La dernière partie de son œuvre est honteusement ignorée, comme si Godard s’était éteint en 1995 et n’avait, depuis, rien réalisé. La projection de Film annonce… juste après ce medley gênant, qui a « célébré » le cinéaste en passant sous silence les moments les plus audacieux de son travail (les films Dziga Vertov, dans les années 1970, et ceux en vidéo coréalisé avec Miéville, dans les années 1980, sont exclus au même titre que sa période numérique), a toutefois fait office de parfait antidote.
D’une durée de vingt minutes, ce film posthume compile des photographies de collages juxtaposant images imprimées, textes, notes, croquis, dessins et coups de pinceaux, avec au milieu des plans extraits de Notre musique. Produit par Saint Laurent, Film annonce… est l’ébauche d’un long-métrage jamais tourné (Drôles de guerres) et correspond, comme le formule Nicole Brenez, à la « fusion du projet et du film ». Godard a toujours entretenu une ambiguïté entre l’œuvre et ses différents états, de Scénario du film Passion à ses courts-métrages, qui sont parfois des excroissances ou des reprises de projets plus larges fonctionnant en indépendance. Si Film annonce… met en lumière cette part mésestimée de son travail (entre lettres filmiques et trailers réalisés par JLG), il a surtout pour particularité de témoigner, page après page, d’une absence : celle d’un film « qui n’existera jamais », Drôles de guerres, mais aussi évidemment celle de Godard lui-même. Impossible de ne pas parcourir ce film-carnet sans avoir l’impression que les images nous parviennent de l’au-delà, plusieurs mois après le suicide assisté du cinéaste.
Les longs silences qui strient Film annonce… et ses nombreuses pages blanches aménagent de cette manière un espace dans lequel on peut penser à ce qui n’est pas, plus ou pas encore. La participation du spectateur, encouragée depuis plusieurs films par des dispositifs ludiques (3D avec laquelle jouer en clignant les yeux pour Adieu au langage, spatialisation du son dans Le Livre d’image, etc.), trouve ici son point d’acmé : la projection devient un support à partir duquel inventer soi-même un autre film, en s’inspirant des indices disséminés sur les pages de l’énigmatique carnet. Constitué en majorité d’images fixes, Film annonce… est ainsi un (drôle de) film dans lequel le mouvement ne vient pas de l’ébullition des images (contrairement au Livre d’image, Film annonce… a le minimalisme d’une note de bas de page) mais de celui de l’esprit. Sur l’une des pages du carnet est noté, comme une sorte d’adresse au spectateur-lecteur invité à décrypter l’esquisse : « C’est votre affaire, et non la mienne, de régner sur l’absence. »